• Chapitre 40

    Résumé des chapitres précédents : Après quelques bouleversements – qui, par bonheur, ne sont déjà plus que des mauvais souvenirs -, l’existence de Charlie et Nora a repris son cours douillet.

     

             — Au fait, on va faire quoi, à Auxerre ? s’enquiert Nora.

             Charlie prend le temps d'amorcer sa manœuvre. Embrayage, marche arrière.

             — Acheter un téléphone.

             — QUOI ?!

             Sous le choc, elle a pâli. Par chance, le bronzage pallie.

             — On s'était juré de ne jamais avoir cette saloperie chez nous, tu t'en souviens ?

             Il prévoyait cette réaction. Comme deux et deux font quatre.

             — Les choses ont changé, ma chouchoute. On est paumés, dans notre cambrousse. Injoignables. Jusqu'à maintenant, on faisait avec, mais tu as entendu Boris : question boulot, c'est la galère !

             Elle rugit.

             — Boris ! Ça m'aurait étonnée...

             Le nom lui écorche les lèvres au passage. Depuis leur retour, il n'a pas été prononcé une seule fois. Par un accord tacite, l'un et l'autre l'évitaient, comme on évite les cordes sous le gibet d'un pendu. Là, Charlie, indûment, vient de rompre le pacte.

             — Stop ! ordonne Nora.

             De surprise, il cale. Elle en profite pour jaillir de la voiture.

             — Eeeeh, où tu vas ?

             —  Pas avec toi, en tout cas. Tes conneries, tu les assumes tout seul, comme un grand ; moi, je suis pas concernée.

             Elle fait demi-tour, remonte vers la prairie, clip-clop, si émouvante. Il la suit des yeux. Ses petites fesses parfaitement sphériques débordent du short trop court, dessinant deux gentils sourires au sommet de ses cuisses. Il a un élan pour la suivre, y toucher. Se retient. Dans l'état où elle est, c'est la gifle assurée. En soupirant, il redémarre.

                                                                                                                                   (A suivre)

     

     


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  • Chapitre 39

     Résumé des chapitres précédents : Le périple parisien s’est terminé par une engueulade avec Boris, et une remise en question assez perturbante pour Charlie et Nora. Heureusement, les voilà de retour dans leurs pénates.

     

             Nora reprend possession des lieux, le poney, le chat, les tomates, maîtresse incontestée de ce royaume miniature, sans mystère et sans drame. Le temps de repriser les accrocs de sa petite âme, et hop ! c'est reparti.

             Un matin, cependant :

             — Tu viens avec moi à Auxerre ? demande Charlie.

             Couchée dans l'herbe, en T-shirt grossièrement échancré et jean coupé sous l'aine, Nora s'empiffre de cerises. Dont elle crache les noyaux à la face du ciel, sa grande bouche dégoulinant de jus écarlate.

    ­         — Tu en veux ? propose-t-elle en tendant le panier.

             Il fait non de la tête, répète sa question.

             — D'accord.

             Elle saute sur ses pieds, époussète des deux mains le fond du short improvisé, secoue sa tignasse en désordre. Enfile ses tennis qui traînent un peu plus loin.

             — T'as l'air d'une négrillonne ! admire Charlie. Jamais vu un bronzage pareil, moi !

             — C'est l'huile d'olive.

             — Quelle huile d'olive ?

             — Celle dont je me tartine au lieu de crème solaire. Une recette de ma frangine. En Orient, les moukères font toutes ça.

             Il rit :

             — Ce que c'est d'avoir une sœur shootée au Club Med ! 

             Puis la renifle, méfiant.

             — C'est ma foi vrai que tu sens la friture.

             — Pas la friture, la salade fraîche, nuance. Et je t'emmerde.

             Il lui lape le gras du bras, elle proteste :

             — Veux-tu !

             En riant, ils se poursuivent jusqu'à la Titine. Embarquent, chacun par sa portière. Démarrent.

                                                                                                                                         (A suivre)

     


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  • Chapitre 38

    Résumé des chapitres précédents : Voilà Boris qui fait la leçon à Nora, maintenant. Décidément, ce type est imbuvable !

     

             — Ça suffit ! intervient Charlie que cet échange d'amabilités commence sérieusement à gonfler. Nora est assez grande pour savoir ce qu'elle veut, ce n'est pas à toi de lui dicter sa conduite. En ce qui concerne l'organisation du travail, OK, t'es le patron, mais tes leçons de morale, tu peux te les mettre où je pense. Et si ça ne te plaît pas, c'est le même prix.

             — Moi, ce que j'en disais..., grommelle Boris.

             — D'ailleurs, on ne va pas s'attarder. On a encore de la route, pas vrai Nora ? Deux cents cinquante bornes, avec la Titine...

             — Quand reviens-tu sur Paris ?

             — Aussitôt que ça s'avèrera nécessaire. Fais-moi signe dès qu'il y aura du nouveau.

             — Tu n'as toujours pas le téléphone ?

             — Toujours pas.

             — Un mauvais point pour toi. Prends au moins un portable, qu'on puisse te joindre, le cas échéant.

             — J'y penserai. Salut !

             Poignée de mains glacée.

             — Au revoir, Nora, soupire Boris. Et ne le prends pas mal si j'ai été un peu brutal.

             — Ne le prends pas mal non plus si je ne me suis pas écrasée, rétorque Nora, les lèvres tremblantes.

             Le temps de passer chercher leurs bagages, et ils sont sur la route. Le voyage est moins gai qu'à l'aller : chacun médite dans son coin. Nora pense au poney, aux tomates, au chat. À ses neurones en rade. À une vieillesse prématurée. Les travaux des champs, paraît que ça ride. Et les potagers, ça vous change en légume ? P't-être bien, à la longue. Est-il encore temps de redresser la barre ?

             « Quand on est  pro, on est tout seul, se dit Charlie. Normal, faut avoir les mains libres. Etre toujours sur la brèche pour les contrats, les journalistes, les relations publiques. Ma petite, dans tout ce tintouin, elle mourrait de peur. La prochaine fois que je monterai, je la laisserai chez nous, parmi les fleurs et les oiseaux. Dans un troquet, et saoule, à trois heures du matin... J'en ai froid dans le dos. Et avec un mec, de surcroît ! Pas sorcier de deviner où il voulait en venir, le fumier ! »

             — J'ai envie de musique, s'étire Nora.

             Elle sort de la boîte à gants un transistor datant de Mathusalem. Il crachotte sans scrupule mais remplit le silence. Elle cherche une fréquence, triture, tripatouille, et finit par tomber sur de l'opéra. Bizet. Dieu, que c'est tarte ! Le Top cinquante de nos ancêtres valait bien le nôtre.

             Mais bah, pour s'empêcher de penser, Carmen ou autre chose...

                                                                                                                                      (A suivre)


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  • Chapitre 37

    Résumé des chapitres précédents : c’est toute la vie de couple de Charlie et Nora qui est remise en cause par Boris. Selon lui, un rapport fusionnel est incompatible avec un travail pro.

     

             — La présence de Nora m'est indispensable, revendique Charlie, d’une voix blanche. Elle m'inspire, je teste mes idées sur elle. On a l'habitude de s'appuyer l'un sur l'autre.

             À la façon dont Boris serre les mâchoires — et que Nora, en son for intérieur, qualifie avec effarement de « spasmodique », —  on devine nettement son agacement.

             — Un peu puéril, comme attitude, non ? Il serait peut-être temps de couper le cordon, les p'tits loups. Vous êtes des individus, sacrebleu, des in-di-vi-dus ! Tu as ton destin, Charlie, et Nora le sien. L'entité bicéphale que je vois devant moi, il n'y a rien de plus négatif, de plus stérile. Chacun freine l'autre dans ses aspirations, de peur d'être lésé. Vous tissez autour de vous un cocon de méfiance, d'indisponibilité, d'interdits — dont celui de vous épanouir pleinement n'est pas le moindre. Et vous tournez le dos à l'avenir.

             À Nora :

             — Si ton mari veut réussir, il doit cesser de te traîner derrière lui. Les femmes sont des sangsues...

             Elle s'étouffe, ce dont il ne tient aucun compte.

             — Au lit et pour le confort domestique, je veux bien croire que tu es au top niveau, mais par pitié, contente-toi de ça !

              Petite toux sèche, incontrôlable, de Nora. La sangsue lui est restée en travers du gosier.

             — D'ailleurs, tu as ton boulot, toi aussi, je suppose ?

             Elle avale une goulée d'air, bloque sa respiration. Ouf, ça va mieux.

             — Accessoiriste ! lance-t-elle, avec un râclement de gorge entre chaque syllabes.

             — En-dehors de Charlie ?

             — Non. Jamais rien en-dehors de Charlie.

             Elle défie l'ennemi, farouche, triomphante. Son appartenance, c'est sa gloire, sa fierté. Ses lettres de  noblesse.

             Boris n'en croit pas ses oreilles.

             — Ça existe encore, des femmes pareilles ? Tu n'as aucun hobby, pas la moindre activité personnelle ? Même pas un job à temps partiel ?

             — Si : je jardine, je couds, je fais la vaisselle. Je nourris le chat et le poney. Je...

             — Tu n'as pas envie de reprendre des études ? D'avoir quelque chose à toi, un centre d'intérêt autre que ton ménage ?

             — Non.

             Regard furtif à Charlie (je suis bien, là ? Convaincante ?) puis elle rectifie :

             — Enfin... mon centre d'intérêt, ce n'est pas mon ménage, en fait, c'est mon homme. Le ménage, je m'en branle, hein, Charlie !

             Boris, atterré :

             — Tu lis, au moins ?

             — Oui, des polars, des BD...

             — Mais faut te secouer, ma grande ! Tu vas pourrir avant l'âge à végéter comme ça ! Tes neurones vont te laisser en rade, et...

                                                                                                                                      (A suivre)


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  • Chapitre 36

    Résumé des chapitres précédents : Voilà, les choses sont claires. « Nora et moi, on est inséparables, a dit Charlie. On ne conçoit pas d’être éloignés, même pour une heure ! »

     

             Silence. Boris se penche machinalement vers la théière, la soulève, se ravise devant les tasses pleines, la repose. On sent qu'il se concentre. Qu'il prépare son réquistoire.

             — Charlie, déclare-t-il — et je m'adresse aussi à toi, Nora —, jusqu'à présent, tu as bossé en amateur. Tu as gagné trois ronds, tu t'es bien amusé, parfait. Libre à toi de persévérer dans cette voie, si le cœur t'en dit. Tu as associé ta compagne à tes activités, OK, c'est tout à fait sympa de ta part. Mais aujourd'hui, l'occasion t’est offerte de passer pro. Grand pro, même. Je ne te cache pas qu'il y a des ouvertures internationales, européennes en tout cas. Ça justifie bien quelques petites concessions. Ça justifie aussi une vraie bagarre, pas de la chipoterie. Cette bagarre, on sera quatre à la mener de front. Mais si chacun de nous ramène à tout propos, qui sa fiancée, qui ses copains, qui ses moutards, autant laisser tomber tout de suite. Le mélange travail-famille, ça ne mène à rien, et je sais de quoi je parle. Ta femme est adorable, tu dois faire bien des envieux, mais comme assistante, elle vaut pas un clou. Excuse-moi Nora, mais tu comprendras que, vu la situation, il m'est impossible de prendre des gants. Dans ma troupe, j'engage Charlie qui me paraît avoir les compétences requises, je n'engage pas Charlie ET Nora. En l'occurrence, Nora, je suis désolé de le dire, est un poids mort. Il n'est pas exclu qu'on s'éclate de temps en temps, et dans ce cas, elle sera la bienvenue comme la femme de Flip et celle de Galapia. Mais dans le cadre du boulot, niet. Ai-je été assez clair ?

             KO, Charlie. Comme après un direct au foie.

             — Hé bé..., émet sa lèvre blème.

             Nora a plus de répondant. Faible et fragile, certes, inadaptée aux contingeances du monde, mais pas carpette. 

             — C'est moi qui m'occupe de ses costumes, de ses marionnettes..., proteste-t-elle.

             — Nous engagerons un régisseur professionnel. Fini le bricolage !

             — Sa présence m'est indispensable, revendique Charlie, d’une voix blanche. Elle m'inspire, je teste mes idées sur elle. On a l'habitude de s'appuyer l'un sur l'autre.

                                                                                                                                       (A suivre)


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