• Chapitre 21

    Résumé des chapitres précédents : tout baigne, pour Charlie. Il va rencontrer futurs ses collègues, les deux autres membres de la troupe de Boris. Et, bien entendu, Nora l’accompagne.

     

             — Tiens ? s'étonne Boris. Tu es venue aussi ?

             Courant d'air glacé dans les veines de Nora.

             — Charlie et moi, c'est comme les chaussettes, on marche toujours par paire ! persifle-t-elle, sur la défensive.

             La vanne ne déride pas son hôte. Mieux : il l'ignore. La balaie d'un revers de main.

             — On a du boulot, précise-t-il sèchement.

             Le message est clair : tu déranges, cocotte. Nora perd contenance. Elle s'est mise sur son trente-et-un, rimmel, blush, rouge à lèvres, plus une broche héritée de sa grand-mère — et qu'elle ne sort que dans les grandes occasions —, agrafée au revers du blouson. Il pourrait en tenir compte, ce sagouin !

             — Mais..., hasarde-t-elle, à court d'arguments.

             — Enfin, puisque tu es là, entre quand même, soupire Boris, en s’effaçant pour la laisser passer.

             Charlie, étranger au drame qui se joue sur le paillasson, les a précédés dans l'appartement. Il salue déjà les autres convives. Des « bonsoir », « ravi de te connaître », « j'ai beaucoup aimé ton dernier spectacle », s'échangent en sourdine.

             Un haut-le-corps soulève Nora.

             — Non, non, s'entend-elle protester. En fait, j'étais juste venue conduire Charlie. Je... j'ai rencard avec des amis.

             Les mains en porte-voix, elle crie :

             — Chéri, je me sauve !

             — De quoi ? sursaute Charlie.

             — Anne m'attend, j'y vais !

             Charlie, ahuri, s'arrache aux mains tendues, se rue sur le palier. Mais elle est déjà à l'étage en dessous.

             — Nora ? NORA ?!

             Il reste un moment, penché sur la rampe, à écouter décroître son pas inégal, puis fait volte-face et, l'air préoccupé, regagne le salon.

                                                                                                                                       (A suivre)


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  • Chapitre 20

    Résumé des chapitres précédents : Tandis que les deux clowns discutent à qui mieux mieux, Nora, qui se sent de trop, picole.

     

             — ... et bosser à plusieurs développe la modestie !

             Boris martèle ces mots avec une sorte d'emphase qui éblouit Nora — d'autant que, d'où elle est, elle l'aperçoit de profil, éclairé à l'arrière par une pâte de verre d'un bleu irréel.

             « Ce que ça lui va bien, ce rôle de laeder nimbé d'azur ! Il serait parfait dans un film sur la Révolution russe, en aristocrate anarchiste, par exemple. On dirait Samy Frey avec trente ans de moins. Ce front têtu, cet air mauvais... Je suis sûre que c'est une teigne qui ne fait pas de concessions, le genre à se laisse tuer plutôt que d'admettre ses torts. Charlie va dérouiller, avec cet animal ! »  

             Elle ricane, presque contente. Quand on a une sale bête exigente sur le dos, on se remue, on progresse.

             « Ça le changera de moi, qui lui fous une paix royale... »  

             Mine de rien, il est plus de minuit. Boris donne des signes de fatigue. Charlie bâille. Seule Nora pète la forme : l'alcool la dope, et elle a dormi tout l'après midi. Mais elle aimerait autant poursuivre la fête ailleurs. Au lit, genre...

             — On rentre ? suggère-t-elle, mise en appétit par la perspective du roulé-boulé conjugal.

             Les deux hommes approuvent d'un commun accord. Demain est un jour important, la première prise de contact de la troupe. Ils ont donc intérêt à être frais et dispos.

             S’étant esquivés avec les courbettes d'usage, Charlie et Nora se retrouvent dans la rue.

             Paris la nuit, ô merveille, surtout l'été. Trottoirs désert dont les lampadaires gomment tout relief, rares voitures, façades sourdes, muettes, aveugles. Un décor de polar. Ou, à la rigueur, de film d'amour.

             — Ce soir, je préfère le X ! annonce Nora, avant de s'engouffrer dans la 4L.

             Sous la lueur du plafonnier, la moustache de Charlie a des reflets de cuivre.

             — « Qui s'y frotte s'y pique », ronronne la jeune femme.

             Ce qu'elle s'empresse de faire avec délectation.

             — Arrête, t'es bourrée ! la rabroue doucement son homme.

             Et elle, graveleuse :

             — Bourre donc la bourrée, joli laboureur ! 

             — Demain, interdiction de picoler, t'entends ? T’as vu dans quel état ça te met ? Et avec tes médocs, c’est pas recommandé, je te signale.

             Elle promet, pliée de rire.

                                                                                                                    (A suivre)

     


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  • Chapitre 19

    Résumé des chapitres précédents : La discussion entre Charlie et Boris bat son plein. Ces deux-là s’entendent comme larrons en foire ! Nora, un peu larguée, les écoute en sirotant son coktail.

     

             — Et Flip, il est comment ? s'enquiert Charlie.

             — Excellent. C'est un touche-à-tout, comme toi. Tu lui mets n'importe quel objet entre les pattes, il te pond instantanément un sketch. Et le public se tord.

             — Son look ?

             — Rappeur flemmard.

             — Pas très original...

             — Si, justement. Oublie la tripotée de petits branleurs qui sévissent à la télé, si c'est à ça que tu fais allusion. Chez lui, le survêt et la casquette prennent une dimension, comment dire ? mystique.

             — Rien que ça ! 

             — Tu verras... Il passe essentiellement dans les maisons de jeunes, et à chaque fois, les racailles lui font un triomphe. Ils se reconnaissent en lui, s'identifient...

             — Et les médias ne s'en sont jamais emparés ?

             Haussement d'épaules fataliste de Boris.

             — Son heure n'était pas venue, faut croire. Tant mieux pour nous.

             — À côté de lui, je vais faire figure de vieux con, moi, avec mon nez rouge...

             — Penses-tu ! Les valeurs sûres, ça marche toujours. D'autant que « l'humour naît des contrastes », comme on dit.

             Nora s'esclaffe. Détournement de proverbe, elle adore ! Avec la sensation violemment jouissive de montrer ses fesses à sa mère, elle claironne, à contre-temps :

             — Et la bite ne fait pas le moine !

             Un double regard consterné la ramène sur terre (ou plutôt, la fait rentrer sous). 

             — Oups, pardon, bredouille-t-elle. Ça m'a échappé.

             — Fais pas attention, elle tient pas l'alcool, souffle Charlie à Boris.

             D'un geste désinvolte, ce dernier relativise.

             — Dans une équipe comme la nôtre, il faut une base traditionnelle pour ne pas effaroucher le public, poursuit-il sans sourcilier. D'ailleurs, moi-même... 

             — C'est vrai que tu es assez classique, admet Charlie.

             — De toute façon, s'il y a des choses à améliorer, c'est la confrontation de nos quatre personnalités qui en décidera. Et les nécessités du spectacle. Bosser à plusieurs développe la modestie.

                                                                                                                               (A suivre)

     


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  • ... voici la vidéo de l'inauguration du "Temps de lire" à Puycelsi. Un immense merci à Jean-François (à la caméra), à Marcel (au montage) et à Mélanie (au bidouillage informatique).

    C'est ici :

    http://www.dailymotion.com/video/xxroan_montage-mp4-ok_people#.USs2XIXqvR0

    (Si le lien ne marche pas, faites un copié-collé sur votre barre d'adresse)

    63376 2540016957590 926156930 n


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  • Chapitre 18

     Résumé des chapitres précédents : Une inquiétude furtive étreint Nora. Sous l’influence de Boris, Charlie n’est pas en train de s’éloigner d’elle ?

     

             Le bord du verre est ourlé de sucre. Nora le lèche consciencieusement avant de boire. Mais ce qui s'appelle boire, hein, hop, en trois traits ! Le liquide sirupeux imprègne ses papilles, lui brûle la gorge et, subitement, son corps s'allège. La voici en apesanteur.

             Elle suit la conversation de là-haut. Attentive — très ! — mais un peu hors champ.

             Boris explique dans les grandes lignes le fonctionnement de la future troupe. Ça fait des semaines qu'il y réfléchit, il a tout mis au point avec une minutie d'horloger. Charlie écoute, approuve, réclame des précisions, discute un point de détail. Fait des propositions sur lesquelles Boris rebondit.

             « Un vrai numéro de duettiste, admire Nora, bluffée. Ils l'ont répété avant de venir ou quoi ? Parce que, si c'est de l'impro, chapeau, ils sont doués ! » 

             Elle se retient d'applaudir par un reste de décence, puis, tant qu'à se balader dans l'espace, observe ce qui l'entoure.

             En-dehors des fauteuils et d'une grande table ancienne, le duplex est très peu meublé. 

             «  Sobriété fait beauté », énonce-t-elle pour elle-même. (Sa mère l'a élevée à coups de maximes.)

             Sur le carrelage de terre cuite, un tapis afghan dont les arabesque rubis s'entrelacent à l'infini. Aux murs, quelques tableaux contemporains. Originaux ou reproductions ? Vu le climat du lieu, la première hypothèse semble la plus plausible. Sortant des haut-parleurs microscopiques dissimulés ici et là, une musique planante. Dead can danse, ou un truc de ce genre. Une certaine idée de la perfection, quoi. Bravo, l'accessoiriste !

                                                                                                                                     (A suivre)

     


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