• Bien que vous la connaissiez déjà, cette Solitude, en hommage à Sylvain.

     

    La délicatesse

             Bon, d’accord, j’étais amoureuse, mais Sylvain partageait-il ce sentiment ? Rien n’était moins sûr.  On préparait nos émissions ensemble, on buvait des coups au troquet du coin, on discutait, on se marrait... et basta. Nos relations se bornaient à ces instants de bonne camaraderie, alors que je rêvais qu’elles se concrétisent dans un grand lit carré couvert de toile blanche lonla.

             Pour ce faire, je conçus un plan machiavélique. J’habitais en banlieue parisienne, et mon dernier train partait à 21h15. Un soir, donc, je m’attardai plus que de coutume dans le studio.

             — Oh, mon Dieu, m’écriai-je, en consultant ma montre, il est presque 22 h. Comment vais-je faire pour rentrer chez moi ?

             — Euh... si tu veux, je te paie un taxi, dit Sylvain, qui n’avait pas un rond.

             — Pas question ! Par contre, tu pourrais peut-être m’héberger ?

             À ma grande surprise, il secoua la tête.

             — Non, je n’ai pas la place... Mais ne t’inquiète pas, on va trouver une solution.

             Sans me laisser le temps de protester, il partit téléphoner et revint avec un grand sourire.

             — Mon copain Seb passe te prendre en voiture dans un quart d’heure ; la piaule de son colloc est libre pour quelques jours. Tu verras, c’est un mec sympa, toujours prêt à rendre service.         

             Supputant une méchante embrouille, je ne desserrai plus lèvres jusqu’à l’arrivée de Seb. Durant le trajet non plus. Et lorsqu’il me proposa un dernier verre, je lui répondis sèchement que j’étais fatiguée. Devant mon air rébarbatif, il s’empressa de me montrer ma chambre, la salle de bains, et s’éclipsa. Bien lui en prit : s’il avait risqué le moindre geste équivoque, je l’aurais mordu !

     

             Quand, des mois plus tard, devenue intime avec Sylvain, je lui demandai les raisons de ce plan foireux, il me répondit simplement :

             — Je ne voulais pas profiter de la situation. Tu semblais tellement perdue...

             — Et si Seb en avait profité, lui ?

             — Aucun risque, il connaissait mes sentiments pour toi.

             Que répondre à ça ?


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  • Merci à tous ceux d'entre vous qui m'ont envoyé un mot gentil, pour le départ de Sylvain. Je voudrais que vous sachiez — vous que je connais pas, pour la plupart, mais qui me connaissez si bien — que c'est notre rendez-vous quotidien qui m'a permis de tenir, durant ces longs mois difficiles. Votre présence invisible, silencieuse, me portait chaque matin, et me permettait d'affronter la journée. Là, nombre d'entre vous se sont manifestés, et je tiens à vous dire à quel point ça me touche. D'ici quelques jours, quand le tourbillon d'émotions et de souffrance se sera un peu apaisé, je reviendrai vers vous. En attendant, merci, merci à tous, connus et inconnus, d'avoir, à travers moi, rendu un dernier hommage à Sylvain. A très bientôt.

     

    Un merci tout particulier à Castor Tillon, l'auteur de cette photo

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  • Aujourd'hui, mercredi 2 janvier, à 18 h 15, Sylvain est parti, après deux années de combat contre la maladie et la création de la bouquinerie de ses rêves. Je crois que personne ne l'oubliera. IMG1142.jpg


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  • Episode 120

              Résumé des chapitres précédents : Seule contre soixante divas assoiffées de sang, Zoé ne fait pas le poids. Tant pis pour les quarante kilos de diamants qui lui reviennent de droit. Elle ne tient pas à être dépecée vive comme le malheureux Branquenstein !

     

             Ainsi notre héroïne, aussi pauvre qu’avant, reprit-elle son labeur à la BNS, en bénissant le ciel d’être toujours vivante.

             « Après tout, se répétait-elle, avec son optimisme naturel, de quoi me plaindrais-je ? Le péril extraterrestre est définitivement écarté, j’ai recouvré ma liberté et retrouvé Asia Li-Li, mon job et mes patients. N’est-ce point là la vraie richesse ? »

             Bref, elle ne pensait plus à la fortune qui lui était passée sous le nez, quand un matin...

             Zoé écoutait rarement France info. Pourquoi, ce jour-là, avait-elle allumé la radio pendant son petit déjeuner ? Une sorte d’intuition, peut-être ?

             Carnet rose, annonçait le présentateur. A plus de quatre-vingts printemps, l’émir Ibn-el-Zarzour, prince du Qatar, est papa pour la première fois. Sa favorite, la jeune princesse Aïcha, vient de lui donner un fils. Rappelons qu’en l’absence d’autres héritiers, l’enfant, au décès de son père, héritera des principales ressources pétrolifères du Moyen-Orient.

             Bien qu’en soi, la nouvelle fût plutôt réjouissante, une sonnette d’alarme retentit dans la tête de Zoé. Et, l’espace d’un éclair, une scène lui revint en mémoire : celle de Chouchou, l’organe en proue, poursuivant la princesse autour de la piscine. En frissonnant, elle effectua un rapide calcul. La chose avait eu lieu neuf mois auparavant, quasiment jour pour jour...

             — Bon sang ! frémit-elle. Il a réussi !

             Chouchou n’avait pas seulement tenté de violer Aïcha, il y était arrivé. Et il l’avait même fécondée...

                                                                                                                               (A suivre)

     

     


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  • Trous noirs

             Mercredi 20 février 1987, 8 heures 12, ligne Nation-porte Dauphine, station La Chapelle.

             — Regarde, dit Alice à Robert, ils recouvrent toutes les affiches.

                Les colleurs, en effet, s'activent. Armés de balais et de seaux de colle, ils placardent, morceau par morceau, de nouvelles pubs sur les précédentes.

                Robert, encore à moitié endormi, émet un grognement avant de replonger dans sa léthargie.

                À l'arrêt suivant :

             — Ici aussi, ils collent la même affiche, constate Alice.

                Le puzzle n'étant pas encore complet, impossible de savoir de quel produit il s’agit. L’image, à première vue, semble peu colorée. Beaucoup de noir, apparemment.

                En bout de ligne :

             — Tiens, ici ils ont terminé. Qu'est-ce que ça représente ?

                Des trous. Immenses. Sans le moindre texte explicatif.

             — Quelle super campagne ! s'exclame Alice. Il y en a partout. Les annonceurs ont dû casquer un max !

             Robert, toujours dans les vapes, approuve d’un signe de tête.

                Terminus. Les voyageurs descendent. De plus en plus intriguée, Alice s'approche d’une des affiches.

             — Quel réalisme ! admire-t-elle. On dirait presque un vrai !

                Elle effleure le panneau du doigt ; son index s’y s'enfonce.

             — Mais... mais... mais... C'EST UN VRAI  !

             — N'importe quoi, ricane Robert.

             — Vérifie toi-même !

                Aussi ahurissant que cela paraisse, dans chaque station de métro, douze trous gigantesques percent les murs. Tout le réseau est perforé comme un gruyère.

             —  Et ça pue, en plus ! s'effare Alice.

                Des remugles d'humeurs en décomposition émanent en effet des béances, d’où s’échappe également un faible clapotis. Une rumeur organique positivement immonde.

             — Des trous noirs ! réalise soudain Robert. Ça, c'est un coup des Irakiens. On redoutait l'arme chimique, bactériologique, atomique, que sais-je ? et ils font bien pire : ils utilisent l'anti-matière pour réduire à néant notre civilisation.

             — Je crois que je vais m'évanouir, souffle Alice, en se laissant choir sur un banc.

                L’abandonnant à son malaise, Robert parcourt le quai sur toute sa longueur en hurlant :

             — Au secours ! Les Irakiens attaquent !

             A ce mots, un vent de panique parcourt la foule, nombreuse à cette heure de pointe. Terrorisme... attentats... bombes... peut-on distinguer dans le brouhaha.

             — Les murs du métro sont piégés ! hurle Robert.

                Reflux immédiat vers les sorties. Cris, grincements de dents, sanglots, bousculade. Des voyageurs trébuchent ; on les piétine. Quelques personnes basculent dans les affiches et disparaissent, englouties — ce qui décuple la psychose. Bilan de l'opération, après intervention des pompiers, du Samu et de Police-secours : cinquante morts, deux cents blessés, un bon millier de traumatisés à vie. La nation est en état de choc.

     

                Le lendemain, comme si de rien n'était, les colleurs sont revenus. Ils ont recouvert les affiches par le second volet de la campagne. Rien que du texte, cette fois : 36 15 TROU, le minitel rose qui n'a pas peur des mots.

             — Géante, cette pub ! s'est exclamé Robert en sortant de l'hôpital. Certains concepteurs frisent le génie !

                Il a porté très vite une gerbe de fleurs sur la tombe d'Alice, puis est rentré chez lui et s'est connecté illico.

     

     


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