• Innocence

             Courant soixante-dix, les parents d’Alex décident de quitter un Liban à feu et à sang pour venir nous rejoindre en France. Ils nous chargent de leur trouver un appartement dans le vingtième arrondissement, où mon beau-père a des contacts professionnels.

             Afin de nous acquitter au mieux de cette mission, nous râtissons toutes les agences immobilières de l’ouest parisien. Hélas, la réponse est partout la même : rien à louer. Pourtant, ce n’est pas encore la crise du logement !

              Au bout du quinzième refus, Alex explose :

             — C’est quand même incroyable que nous ne puissions même pas trouver un petit deux-pièces pour mes parents, alors qu’il y a plein de logements vides !

             Notre interlocutrice, une dame entre deux âges assez BCBG, lève un sourcil :

              — Ah, c’est pour vos parents ? Pas pour vous ?

             Saisi d’une brusque inspiration, Alex précise :

             — Oui, mon père est kiné ; il va prendre la direction de « Body fun », la salle de sport de la place des Fêtes...

             A-t-il prononcé une formule magique ? Avec un sourire avenant, la dame nous invite à nous asseoir et consulte ses fiches.

     

             Quand nous racontons cette mésaventure à nos voisins de palier — un couple de quinquagénaires assez conventionnels —, ils éclatent de rire.

             — Ça vous étonne ? Vous avez vu votre dégaine ?

             Alex a la barbe et les cheveux longs ; je porte un sari sur mon jean troué, des bagues aux orteils et une tignasse afro.

             — Avec un look pareil, franchement, vous ne trouvez pas normal de vous faire jeter ?

             Euh... non.

     


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  • Episode 112

            Maintenant que Chouchou est casé (et castré), plus rien ne retient Zoé au Qatar. Elle envisage donc de quitter au plus vite le harem d’Ibn-el-Zarzour. Mais comment faire ? 

            

             Non contentes d’être fermées à double tour, les portes du sérail étaient gardées par des soldats armé de cimeterres (pour la tradition) et de flingues (pour l’efficacité). Sortir de ce lieu clos tenait de la performance ­— ou du suicide.

             Derrière le moucharabieh qui donnait sur les jardins du palais et, par-delà le mur d’enceinte, sur les rues animées de la cité, Zoé élaborait d’utopiques plans de fuite. 

             — Vais-je rester à jamais captive dans cette prison dorée ? gémissait-elle, quand le découragement la submergeait.

             Ou encore :

             — Les taulards, au moins, gardent l’espoir de sortir un jour, et même d’obtenir une remise de peine pour bonne conduite. Mais moi... Qu’ai-je fait de mal pour être séparée aussi cruellement de tous ceux que j’aime ?

             Bref, c’était pas la joie.

             Et pendant ce temps-là, bercées par la voix envoûtante de Chouchou, les cinquante-deux autres épouses d’Ibn-el-Zarzour prenaient leur pied. Il fallait les voir, allanguies dans la moiteur douillette des coussins, s’abandonner aux affres délicieuses de la musique. Nulle caresse, aussi lascive fût-elle, ne leur avait jamais procuré tant de plaisir. Leurs gémissements et leurs soupirs enamourés en attestaient.

             Elles étaient toutes au bord de l’ogasme quand la porte du harem s’ouvrit à la volée. Et, en grande pompe, l’émir entra. 

             — Ne vous dérangez pas, mesdames, je ne fais que passer ! lança-t-il à la cantonnade.

             Puis, s’approchant de Zoé qui, seule, semblait bouder les torrides accords :

             — Je viens juste étrenner ma nouvelle acquisition, ajouta-t-il, en lui tendant la main.

                                                                                                                                             (A suivre)


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  •  

    Cimetière dans la brume

           À l’enterrement de mon père, l’une de mes tantes se rua en pleurant dans mes bras. Son mouvement trop brusque fit tomber mes lunettes dont la monture se brisa sur le sol. Quand je tentai de les remettre, le résultat fut désatreux. Il me fallut donc faire un choix : ou ne rien voir ou être ridicule. Par respect pour mon père — et la solennité de la cérémonie —, je restai stoïquement dans le brouillard.

     


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  • Allez, aujourd'hui, je vous gâte. Suite à l'intervention de Mélaka, j'ai légèrement modifié la Solitude d'hier. Voici donc la version réactualisée :

     

    En direct

            Un jour d’hiver, j’appelle ma petite-fille, Nina, sur son portable.

             — Ça va ?

             — Oui, et toi ? Je ne te capte pas très bien, je suis en voiture avec mes parents et Mélanie. On rentre de Paris et...

             Elle s’interrompt, pousse un cri.

             — Aaaah... attention ! On... on VA AVOIR UN ACCIDENT !

             Un bruit épouvantable, puis plus rien. Le silence.

             Dans un état d’effroi indescriptible, je hurle :

             — Nina ! Nina !  Que se passe-t-il ? Vous n’avez rien ?

             —Non, tout va bien, répond-elle d’une voix tremblante, après quelques secondes qui me semblent des siècles. La voiture vient de glisser sur un plaque de verglas et est rentrée dans la barrière de l’autoroute. Mais pfiou, quel choc !

             Le mot n’est pas trop fort : je ne tiens plus sur mes jambes.

     

    Et si vous voulez savoir ce qui s'est exactement passé, sur cette fameuse autoroute, allez voir là :
    Mela Ka http://www.melakarnets.com/index.php?post/2006/01/04/8-frisson-hivernal


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  • Episode 111

             Résumé des chapitres précédents : Ibn-el-Zarzour a décidé de gracier Chouchou. Il l’offrira à ses épouses en lieu et place du sperme disparu.

     

             Les femmes d’Ibn-el-Zarzour saluèrent cette décision par des « youyous » de joie. Quant à Zoé... Si l’émir avait été devant elle, à cet instant, elle lui aurait sauté au cou et même pire. Car il venait, sans le savoir, de résoudre tous ses problèmes. Privé de sa redoutable fonction reproductrice, Chouchou ne représentait plus le moindre danger pour la planète. C’était juste un être pathétique, un débile particulièrement laid malgré sa voix suave.

             « Et un sacré veinard ! » se réjouit Zoé.

             Parce que bon, inutile de tergiverser : par l’un de ces tours de passe-passe dont le destin est coutumier, l’existence de Chouchou avait, subitement, basculé du bon côté de la barrière. De pitoyable quelques instants auparavant, elle devenait à présent triomphante, magnifique. Dorlotté par cinquante-deux beautés en mal d’enfants, la malheureuse créature de Branquenstein allait vivre désormais le paradis sur terre. Luxe, calme et volupté dans un palais des Mille et Une Nuits... Que pouvait rêver de mieux, comme perspective d’avenir, un assemblage hétéroclite de bouts de cadavres (dont une diva) ?

             « Ça va le changer de son résurrectologue à la noix... et même de la gentille trayeuse de la BNS ! »

             Cette évocation emplit l’âme de Zoé de nostalgie.

             «  Ah, retrouver Anatole Youplala, la petite cabine de trayage, les clients de passage... Et Asia-Li-li, surtout ! Ma belle joueuse de Chifoumi dans sa suite au Georges V ! »

             Bref, tout étant arrangé, il ne restait plus à notre héroïne qu’à rentrer chez elle, goûter un repos bien mérité. Mais pour ça, il fallait fausser compagnie à son nouveau mari. Et ce n’était pas forcément le plus simple...  

                                                                                                                                     (A suivre)

     

     

     

     


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