•   Episode 117

             Résumé des chapitres précédents : Branquenstein s’est vite consolé de la perte de Dora. Il l’a remplacée par l’Amicale des Divas Nécrophiles, qui semble combler sa libido galopante. Comme quoi, on guérit de tout, même de l’amour fou. Triste constat, je trouve.

     

             A mieux y regarder, une chose frappa Zoé. Les soixante divas étaient couvertes de diamants. Colliers, pendants d’oreilles, bracelets, bagues... Elles rutilaient de partout.

             — Euh... c’est la rançon de l’émir ? souffla-t-elle.

             Branquenstein s’épanouit.

             — Bien sûr ! Je suis riche, maintenant !

             Zoé eut un sursaut d’indignation.

             — NOUS sommes riches, vous voulez dire...

             — Pardon ?

             — Vous ne comptez quand même pas garder le prix de MA vente pour vous tout seul ?

             L’expression du resurrectologue valait le détour. Estomaqué, il était.

             — Et d’un, je ne suis plus tout seul comme vous pouvez le constater, et de deux, il n’a jamais été question que nous partagions le pactole. D’ailleurs, que faites-vous ici ? Vous devriez être avec votre mari, il vous a payée assez cher !

             Une telle mauvaise-foi laissa Zoé pantoise.

             — Tu n’es pas de cet avis, ADN ? poursuivit Branquenstein, prenant la chorale à témoin.

             Soixante têtes approuvèrent, ce qui fit briller les pierres précieuses de tous leurs feux.  Puis, tel un essaim de mouettes, les divas prirent leur envol et s’abattirent sur lui pour l’embrasser.

                                                                                                                                                (A suivre)


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  • Passion d’amour

                 Les êtres qu'on aime vous modifient, au fil du temps. C'est la magnifique loi des destinées humaines. Moi, par exemple, j'étais jadis d’une nature colérique. J’explosais pour un oui pour un non, je claquais les portes, je cassais la vaisselle, je hurlais des insanités. Mais par respect pour mon Henri, dont mes emportements heurtaient la sensibilité, j'appris à me dominer. À présent, je conserve mon calme en toute circonstance, et me ferais hacher menu plutôt que d’élever la voix.

                De même, j'étais brune. La blondeur qui, aujourd'hui, m'auréole, je la dois à Firmin. J'ai sacrifié ma tignasse de gitane, fierté de mon adolescence, aux appétits de cet amateur de Suédoises. Ce qui me valut, je n’ai pas peur de le dire, quelques nuits inoubliables.

                C'est comme mon visage. Nul ne devinerait, en me regardant, que mes traits d'origine sont aristocratiques : nez busqué, pommettes hautes, menton saillant, œil petit mais vif. La chirurgie esthétique a fait des pas de géant, ces vingt dernières années. Le minuscule appendice nasal de modèle dit « à la retroussette » dont m'a gratifiée un virtuose du scalpel, mes joues botoxées, ainsi que l'implant de cils synthétiques ourlant les cicatrices de mes larges orifices oculaires, font de moi la sosie d'Elisabeth Montgomery dans Ma sorcière bien-aimée.  Cette métamorphose est le reflet du goût immodéré de Luc pour les feuilletons américains des années soixante.

                Et mes jambes ? Que leur est-il arrivé, à mes jambes ? C'est Paul, fana de parapente qui, m'entraînant dans son trip,  les  réduisit, un beau matin de juillet, à l'état de moignons. L'air était pur, le soleil brillait, nous planions dans l'azur limpide tels de blanches mouettes. Ma rencontre inopinée avec une ligne à haute-tension me tira brutalement de ma béatitude. Lorsque, six mois plus tard, je quittai l'hôpital au bras de mon chéri, c'était radieuse et dans une chaise roulante. Je n'aurai plus jamais d'ongles incarnés, merci, amour !

                Quant au poumon d'acier dans lequel, aujourd'hui, repose ma carcasse, il m'évoque — avec quelle émotion ! — le très cher souvenir d'Albert, le pyromane qui embrasa mon cœur avant de mettre le feu à mon appartement, tandis que je lui préparais des pets-de-nonnes à la crème.

                Qu'eût été ma vie sans les Bien-Aimés qui, tels des météores, la constellèrent ? Un parcours inodore, incolore, insipide — voire désespérant. Je serais peut-être aujourd'hui une quinquagénaire brune, anguleuse, valide et aigrie. Rien que d'y penser, j'en frémis d'horreur. Une vie sans amour ne vaut pas la peine d'être vécue. La mienne fut un feu d'artifice, et ce n'est pas fini. Il me reste encore des bras à immoler, des yeux, un foie, une rate, un anus... O divines perspectives ! Et ceci jusqu'à l'ultime passion qui fera exploser mon cœur, dispersant tous azimuts mes lambeaux exultants, dans une apothéose de bonheur.

                Le destin d'une femme aimante est vraiment formidable !



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  • Episode 116

             Résumé des chapitres précédents : De retour en France, Zoé s’empresse d’aller retrouver Asia Li-Li. Et le lendemain... tatatam !

     

             A cent mètres de la maison du docteur Branquenstein, on entendait déjà la musique. Zoé s’attendait à tout sauf à ça. Elle qui pensait trouver le ressurectologue en pleine déprime, voire au bord du suicide, voire déjà suicidé et environné de mouches vertes...

             Dans le jardin ensoleillé, il sirotait un Scotch, affalé sous un parasol à rayures. Un sourire béat fendait sa trombine d’une oreille à l’autre. Autour de lui papillonnait une chorale exclusivement féminine, composée d’une soixantaine de personnes, musiciennes comprises. Et tout ce petit monde s’en donnait à chœur joie (si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots).

             — Ben on ne s’embête pas ! s’exclama Zoé.

             Quelques « chut » impérieux sanctionnèrent ces paroles qui troublaient le récital.

             Entrouvrant un œil, Branquenstein gloussa un paresseux :                  

             — Tiens, Zoé ? Qu’est-ce que vous foutez là ? 

             — Je venais vous donner des nouvelles de Dora. Mais vous ne semblez pas inquiet outre mesure...

             — Ah oui, Dora ! Qu’est-ce qu’elle devient ?

             Le ton était désinvolte. « Révoltant ! » estima Zoé que ce retournement de veste perturbait.

             — Elle et Chouchou sont enfermés à vie dans le harem d’Ibn-el-Zarzour.

             — Ah, très bien... Tiens, au fait, puis-je vous présenter ma nouvelle fiancée ?

             D’un geste ample, il désigna l’ensemble de la chorale :

             — ADN, Zoé ; Zoé, ADN...

             — ADN ?

             — Oui, l’Amicale des Divas Nécrophiles qui m’a rendu le goût de vivre. 

             — Ah, je comprends. Et vous... ?

             Son geste sans équivoque fit rougir le resurrectologue.

             — Eh oui, avoua-t-il, d’un petit air de puceau surpris dans les buisson avec une greluche. Nous nous aimons.

             — Euh... tous ensemble ?

             S’il lui restait un doute, le hochement de tête de Branquenstein le dissipa.

             — J’ai dû faire construire un lit sur mesure, avoua-t-il à voix basse. Nos nuits sont un enchantement... Vous imaginez ça ? J’ai maintenant, à ma disposition, cent vingts mains pourvues de six cents ongles à manucurer. Je suis un homme comblé !

                                                                                                                                    (A suivre)

     

     


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  • Vaccination obligatoire

              L'affiche est apparue un beau matin sur les murs de Paris : SAUVEZ LA VIE DE VOS ENFANTS, FAITES-LES VACCINER CONTRE LE RHUME ! Et en plus petit : Tout mineur trouvé sur la voie publique non muni de son certificat de vaccination anti-rhume sera abattu par les forces de l’ordre.

                Ça m'a fichu un choc, d'autant que les médias ne cessaient de proclamer que ce vaccin, totalement inefficace et très cher, n’était pas remboursé par la Sécurité sociale. Mais le péril, en l'occurence, venant non du virus mais des pouvoirs publics, la population n'eut d'autre choix que de se soumettre.

                Ce fut la ruée chez les toubibs, dans les hôpitaux, les cliniques, les dispensaires. Les laboratoires, en rupture de stock, œuvrèrent jour et nuit afin d’alimenter les seringues, et des camions-citernes de produits sanitaires furent acheminés dans toute la France. En quelques mois, l'industrie bio-chimique, le corps médical et les transports routiers multiplièrent leurs bénéfices par dix. Et les caisses de l'État s'emplirent par ricochet.

               Hélas, le vaccin n’était pas anodin. Entre autres effets secondaires, il faisait enfler jusqu'à l'explosion. Ce ne furent, tout d'abord, que quelques cas isolés dont on ne tint pas compte : toute inoculation comporte un quota d'allergies, même minime. Mais bientôt les symptômes se généralisèrent. Devant l‘ampleur du désastre, des associations de consommateurs montèrent au créneau. Une enquête s’ensuivit, puis un procès retentissant où furent mouillés nombre de hauts fonctionnaires — dont le premier ministre qui dut, en catastrophe, donner sa démission. Afin d’apaiser la population, le gouvernement leva d’urgence un nouvel impôt pour financer la recherche d'un antidote.

                Il était temps : les victimes, à présent, se comptaient par millions. Chaque jour, des centaines d’entre elles éclataient dans les rues, les transports en commun, les squares, les magasins, souillant l’environnement de débris organiques. Les entreprises de pompes funèbres, débordées, créèrent collectivement une société de nettoyage aux méthodes révolutionnaires, qui vendit ses services à prix d’or. L’industrie de la mort, qui n’avait jamais été aussi florissante, fut taxée en conséquence, et l’Etat, renfloué, put mettre sur pied un système d’indemnisation qui lui rendit, un temps, sa popularité.

                Jusqu’à ce que...

                La Recherche, grassement subventionnée, ayant fait un bond en avant, les murs de Paris se couvrirent bientôt d’affiches libellées en ces termes : SAUVEZ LA VIE DE VOS ENFANTS, FAITES-LES VACCINER CONTRE LE VACCIN ! Et, en plus petit : Tout mineur trouvé sur la voie publique non muni de son certificat de vaccination anti-vaccin sera abattu par les forces de l’ordre.

                Lors, la population, hors d’elle, se révolta et, au terme de sanglants combats de rues, renversa le gouvernement. Ce fut le début d'une formidable ère de prospérité pour les armuriers.

     

     


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  • Episode 115

           Résumé des chapitres précédents : Pour remercier de Zoé de lui avoir offert son ultime orgasme, l’émir Ibn-el-Zarzour lui rend sa liberté. C’est un brave homme, finalement !

     

             Vingt-quatre heures plus tard, nous retrouvons Zoé dans l’avion qui la ramène en France. Elle a troqué ses mirifiques atours contre un jean et un tee-shirt, et sirote un wiskhy pur malt quinze ans d’âge.

             Perdue dans ses pensées, elle sourit. Son avenir est aussi rayonnant que le paysage céleste qu’elle aperçoit par le hublot. Azur et océan baignés par le soleil...

             « Dès que j’arrive, je saute dans un taxi et je file au Georges V, prémédite-t-elle avec des frissons de joie. Et demain, à l’aube, je déboule chez Branquenstein chercher ma part de diamants. J’espère qu’il se remet de la perte de Dora, pauvre grand ! »

             Ça, c’est l’unique point noir. Dans quel état va-t-elle trouver le résurrectologue ?        

             «  Bah, inutile de se morfondre à l’avance, j’aviserai en temps utile. D’ailleurs, nous arrivons... »

             L’avion, en effet, amorce sa descente.

             Tout en bouclant sa ceinture, notre héroïne, pour la centième fois depuis le départ, évoque en frémissant l’instant béni des retrouvailles avec sa chère Asia.

             Eh bien, je puis vous le confier, moi qui suis dans la confidence : ce fut grandiose. Époustouflant. Phénoménal. Prodigieux. Stupéfiant. Fantasmagorique. Rocambolesque. Pharamineux. Hallucinatoire. Bref, mille fois mieux que dans ses rêves les plus fous.

             Elles passèrent une super-soirée, quoi.

             En revanche, la journée du lendemain fut moins drôle...

                                                                                                                                    (A suivre)

     

     

     


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