• Le borgne

              Ma mère — je crois l’avoir déjà dit — était une grande adepte des proverbes. Elle en sortait à tout propos, ce qui m’agaçait prodigieusement. Un jour, en discutant avec un client borgne, elle lui lance sans réfléchir :

             — Vous, vous êtes comme le personnage de la parabole : vous voyez la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le vôtre !

           Le type devient tout rouge et tourne les talons. Consciente d’avoir gaffé, maman, très ennuyée, s’empresse de relater l’incident à mon père.

             — Je n’ai pas voulu le vexer, assure-t-elle. Ça m’a échappé involontairement. Le pauvre homme a dû croire que je me moquais de lui. 

             —D’autant qu’il a perdu son œil dans un accident de chantier, répond papa qui le connaît bien.

             — Ah bon ?

             — Oui, il s’est pris un madrier en pleine figure...



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  •       

         Episode 88

             Résumé des chapitres précédents : La bite verdâtre greffée à Chouchou n’est autre que celle d’Aladdin, le fils du Petit Prince (et l’auteure est contente de retomber sur ses pieds).

     

             D’un geste fébrile, Zoé sortit son portable et composa un numéro.

             — Allo ? fit une voix ensommeillée, au bout de la ligne.

             — Patron, c’est Zoé. Le liquide séminal de ces deux derniers mois est-il encore chez nous ?

             Il y eut un long silence dans l’écouteur.

             — Patron, vous êtes toujours là ?

             — Oui, et je te signale qu’il est deux heures du mat’.

             — Je sais, mais c’est une question de vie ou de mort.

             Un bâillement sonore, puis, dans la foulée, un « non » lapidaire.

             — Non ? répéta Zoé dans un souffle. Non quoi ?

             — Non, il n’est plus chez nous. Je l’ai expédié hier, par bâteau.

             À l’annonce de cette catastrophe, Zoé sentit le sol se dérober sous elle. Mais ce n’était vraiment pas le moment de tourner de l’œil. Se ressaisissant au prix d’un effort surhumain, elle s’informa : 

             — Vous avez l’adresse des acheteurs, au moins ?

             — Il n’y en a qu’un. Pourquoi ?

             — Contactez-le immédiatement : il faut qu’il nous rende tout, jusqu’à la dernière goutte !

             — Impossible, les conteneurs sont en route pour le Qatar. L’émir Ibn-el-Zarzour veut en faire cadeau à son harem. Il y a des années que ses cinquante-deux femmes lui réclament un enfant, mais il n’y arrive pas. Il a donc décidé de les inséminer en grande pompe, le jour de ses quatre-vingt-douze ans. C’est une idée fort délicate, je trouve !

             Anatole Youplala eut un nouveau bâillement.

             — A présent, laisse-moi dormir, et fais-en autant de ton côté. On n’a pas idée de réveiller les gens pour parler boulot !

             — Mais patron !  supplia Zoé. Ecoutez-moi...

             Trop tard, il avait raccroché.

                                                                                                                                  (A suivre)


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  • Kangourou

     

             Bon, il y eut quand même une petite compensation :  nous prîmes l’habitude de passer nos dimanches après-midi à Zouk. C’est dans le patio aux citronniers que Frédéric découvrit les joies du tricycle et qu’Olivier usa ses couches à cavaler sur son derrière.

             Au cours d’un de ces dimanches familiaux, tandis que nous prenons le thé au salon, Frédéric, qui joue dehors, pousse un cri :

             — Manman ! Viens voir ! Quelqu’un a jeté un machin rouge au-dessus du mur !

             On se précipite ; parmi les bambous « le machin rouge » palpite...

             C’est un chaton couvert de sang. 

             Le cœur au bord des lèvres, je me penche sur lui. Il a les deux pattes avant déchiquettées. Comment ? Nous nous perdons en conjectures. Est-ce l’œuvre d’un chasseur ? De gamins cruels ? Ou un accident (ce dont nous doutons) ? Bref, la pauvre bête souffre le martyre, et lorsque Francine, la compagne de Claude, tente de le soigner, il se débat avec des cris horribles. Puis rampe jusqu’à un trou dans le mur, où il se tapit.

             De l’avis général, mieux vaut le laisser tranquille.

             On lui glisse de l’eau, un peu de nourriture dans laquelle Francine incorpore, par précaution, du sirop antibiotique, et le temps passe.

             A chacune de nos visites, nous nous informons de l’état du blessé. Il mange, lèche ses plaies, et, en tout état de cause, se rétablit lentement.

             Et puis un jour, miracle ! Nous voyons surgir une petite tête rousse à l’orée du refuge. Deux yeux inquiets scrutent le patio. Nous arrêtons de respirer, même les enfants... Rassuré par notre immobilité, le chaton s’extirpe à l’air libre et fait quelques pas dans notre direction. Je devrais plutôt dire « quelques bonds », car il saute sur ses pattes arrières, en tendant devant lui ses petits moignons roses.

             — On dirait un kangourou ! s’exclame Alex.

             Le nom lui restera — bien que « Kangouroute » eut mieux convenu, car le chat mutilé est une chatte.

             Cette chatte, par la suite, s’avéra très féconde. Et voleuse comme pas deux. Que de fois mon frère l’a vue revenir de chasse, serrant dans sa gueule une portion de fromage, une merguez, voire un demi poulet, piqués chez les voisins ! En bonne mère, elle posait son trophée devant ses rejetons et veillait férocement sur leur repas. Malheur à qui eut tenté de s’approcher : si Kangourou ne possédait plus de griffes, elle avait des dents et savait s’en servir ! 

            


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  • Episode 87

            Résumé des chapitres précédents : Branquenstein raconte à Zoé la provenance de l’organe sexuel de Chouchou.

            

             — Aladdin, souffla Zoé, hors d’elle.

             Le médecin lui décocha un regard surpris. 

             — Pardon ?

             — Le plongeur mutilé se nommait Aladdin. Quand la bombe a explosé, il fécondait les sirènes de l’espace — ce qui explique sans doute pourquoi son sexe, enfoui dans sa partenaire, n’a pas été touché par la déflagration.

             L’ahurissement de Branquenstein valait le détour. Si Zoé n’avait pas été aussi bouleversée, elle aurait éclaté de rire.

             — Co... comment le savez-vous ? bredouilla-t-il.

             — Parce que c’est moi qui ai posé la bombe.

             — Mais... pourquoi ?

             Zoé leva les yeux au ciel, et ce fut avec une certaine impatience qu’elle répondit :

             — Le péril extraterrestre, t’as entendu causer ?

             Dans son énervement, elle l’avait tutoyé. Loin de s’en formaliser, Branquenstein répliqua du tac au tac :

             — Désolé, ma petite, je ne suis pas lecteur de SF.

             — Qui vous parle de fiction ?

             — Tout le monde sait que les extraterrestres n’existent pas, voyons !

             — Par contre, les morts-vivants, ça existe, n’est-ce pas ? Docteur Branquenstein, vous me décevez. J’attendais moins de préjugés de la part d’un...

             Une pensée fulgurante court-circuita la suite.

             — Oh, bordel ! glapit Zoé, une expression épouvantée sur le visage.

             — Qu’entendez-vous par là ?

             — Que le sperme de Chouchou se promène dans la nature.

             — Pardon ?

             — Il y a plusieurs semaines que votre protégé se rend quotidiennement à la BNS. Vous étiez au courant ?

             — Euh... non, je ne contrôle pas toutes ses allées-et-venues. Qu’est-ce que la BNS ?

             — La banque de sperme dans laquelle je travaille. Je lui en extrais chaque fois un plein flacon. Il ne faut à aucun prix que cette semence maudite soit distribuée !

                                                                                                                        (A suivre)


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  • La maison de mes rêves

             Il y avait, dans l’hebdomaire où nous travaillions, Alex et moi (lui comme maquettiste, moi en tant que pigiste), un rédacteur français surnommé « El Franzawié ». À plusieurs reprises, il nous avait invités chez lui, à Zouk, minuscule village perché dans la montagne, et suplombant la baie de Jounieh (la plus belle baie du monde après celle de Rio, NDLA). L’endroit était paradisiaque, la vue imprenable, et que dire de la maison ? Un petite bâtisse paysanne sans confort mais si douce, si calme, avec ses arcades couronnant un patio planté de citronniers et de bambous.

             En ai-je assez rêvé, de ce patio magique ! Nous qui vivions, avec nos deux petits garçons, dans une tour sordide au centre de Beyrouth... 

             Un jour, El Franzawié nous annonce qu’il doit rentrer en France.

             — Vous pouvez reprendre mon bail, si vous voulez, déclare-t-il. J’en ai déjà parlé au propriétaire, il est d’accord.

             — Et le loyer ? s’enquiert Alex.

             — Il est plus bas que celui de votre appartement.

             Je manque de m’évanouir de bonheur. Mon vœu le plus cher va se réaliser !

             Hélas, non. Après réflexion, Alex refuse. Comme il bosse deux nuits par semaine à l’imprimerie, il estime dangereux de nous laisser seuls, les gamins et moi, dans ce lieu peu sécurisé. J’ai beau insister, râler, supplier, rien n’y fait. Piètre consolation : c’est mon frère Claude qui s’y installe, avec sa compagne du moment. Ils passeront là les dix meilleures années de leur vie.

            Mais j’aurai ma revanche, trente ans plus tard. « La Rose et l’Olivier » s’achèvera sur une vision d’extase : ma petite famille installée à Zouk, parmi les citronniers, dans ce patio beau à pleurer.

             On se venge comme on peut. 



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