• Les cinéphiles

             Notre petite bande du Thier-à-Liège était divisée en deux  clans : ceux qui affirmaient que, dans les westerns, le héros cognait la jeune première avant de l’embrasser, et ceux persuadés qu’il la frappait après. Cette grave question donnait lieu à des débats sans fin, au cours desquels chacun mimait la scène — bleum ! bizz ou bizz bleum ! — avec le plus de conviction possible.

             N’allant que très rarement au cinéma, je n’avais pas d’opinon là-dessus. Chaque camp tentait donc de me récupérer, y compris par la corruption. Je n’ai jamais possédé autant de billes ni de chewing-gums qu’à cette époque. Fine mouche, je me vendais au plus offrant, c’est-à-dire une fois l’un une fois l’autre, selon les opportunités.

             Ces traficotages éhontés ne plaisait pas, mais pas du tout, à Jean-Aimé. Suite aux événements de l’épisode 164, il me considérait comme sa « crapaude » (sa fiancée, en wallon populaire NDLA) et exigeait que je pense comme lui. Si bien qu’un jour où je m’étais commise avec le clan adverse, s’estimant trahi, il me retourna une baffe magistrale.

             Je fondis en larmes, bien sûr.

             Pris de remords, il se rua sur moi pour me consoler — prouvant ainsi par A+B que sa théorie était la bonne : cogner d’abord et embrasser ensuite. Malheureusement pour lui, je n’avais rien d’une actrice de western. De sorte qu’au lieu du baiser prévu, il récolta un coup de pied dans les tibias qui le fit boiter pendant plusieurs jours.

             Cela mit fin à la polémique.

             La petite bande du Thier-à-Liège venait de comprendre, preuve à l’appui, que la vie n’est pas du cinéma.


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  • Episode 58

              Résumé des chapitres précédents : Suite à leur petite annonce, nos héros ont récupéré, pour les vacances, des centaines de poupons géants ailés. Maintenant, il va falloir en faire une armée de choc. Et ça, c’est plus facile à dire qu’à faire...

     

             Une pensée subite réveilla Zoé en pleine nuit.

             — Asia Li-Li !

             Elle sauta sur ses pieds et courut avertir ses comparses.

             — Je sais où trouver l’armement nécessaire. Attendez-moi, je serai de retour dans vingt-quatre heures, au maximum.

             — Ah non, ne nous laisse pas tomber ! protesta Ruth Prout, alarmée. Y a trop de boulot pour deux !

             — Vingt-quatre heures, pas une minutes de plus, rétorqua Zoé en courant vers la porte.

             À pas de loups, elle traversa le parc en slalomant entre les nourrissons, endormis les uns contre les autres comme des chatons dans un panier. Quelques instants plus tard, elle reprenait gaiement la route de Paris.

             Son but : le Georges V où Asia Li-Li avait sa suite attitrée.

             Tout en roulant, elle évoquait ce fidèle patient devenu, avec le temps, une véritable amie. Leur rencontre remontait à... oh, quinze ans, au moins. En ce temps-là, Asia se nommait encore Tchung. Il venait chaque semaine à la BNS, plus par hygiène que par véritable philanthropie. Au fil des séances, Zoé l’avait vu se modifier, prendre peu à peu conscience de sa féminité, et enfin l’accepter — au point de devenir, pendant quelques mois, trayeuse intérimaire. Par la suite, ayant une âme d’aventurière, Asia s’était tapé l’un des plus grands trafiquants d’armes de la planète, vieillard sur le retour qui avait fait d’elle son héritière. Elle était aujourd’hui à la tête d’un empire, et ne pouvait refuser un petit service à sa vieille copine des temps difficiles...

                                                                                                                                        (A suivre)


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  • Le mauvais exemple

             Ma mère était ronde. Pas grosse, mais pas mince non plus. Un poil corpulente, voyez ?  Comme je manquais d’appétit, elle me disait souvent :

             — Tu veux devenir comme ça ?

             Et elle sortait une photo d’elle pendant la guerre, amaigrie par les privations, cernée, les joues creuses ; vingt kilos de moins, au bas mot.

             — J’ai l’air de revenir de Buchenwald, ajoutait-elle invariablement.

             J’ignorais alors ce qu’était Buchenwald, mais, en mon âme et conscience, je la trouvais bien plus belle sur la photo qu’en vrai.

             Ça ne m’a donc jamais incitée à manger. 


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