• Episode 61

             Résumé des chapitres précédents : Asia Li-Li, l’une des plus grandes trafiquantes d’armes de la planète, a fourni à Zoé des missiles à têtes nucléaires contre une partie de chifoumi.

     

             Lorsque Zoé parvint à Maldonjon, au terme d’une éreintante nuit de route, les missiles étaient là, entassés dans un coin du parc. Avec une pensée émue pour la belle Chinoise, notre héroïne enjamba les bambins endormis, et se glissa dans le château. Elle tombait de sommeil.

             Ce fut la voix de Sire Concis, entraînant ses troupes, qui la réveilla, quelques heures plus tard.

             Le dragon était un fin pédagogue. Sachant que, par nature, le bébé est réfractaire à toute discipline, il avait transformé la résistance en jeu. Des rires, des comptines et des distributions de tétines agrémentaient les exercices. De plus, chaque ordre s’accompagnait d’un bisou, voire de deux.

             Dans ces conditions, les poupons apprirent très vite à voler en escadrille et, au commandement de leur chef, à lâcher ce qu’ils tenaient en main (en l’occurence, des troncs d’arbres figurant les missiles).

             Ce qui perturba grandement les riverains.

             Mettons-nous un instant à la place des pauvres gens qui voyaient déjà d’un mauvais œil la présence, dans le voisinage, d’un dragon et d’un bébé géant. Alors, de plusieurs centaines ! Et qui plus est, faisant pleuvoir des bûches sur leurs maisons !

             Le maire convoqua à la hâte le conseil municipal.

             — L’année dernière, nous nous sommes opposés à l’installation, sur le territoire de la commune, d’un centre de réinsertion pour délinquants handicapés, déclara-t-il. Nous craignions pour notre tranquillité... Or, aujourd’hui, Maldonjon abrite des trublions qui, non contents de nous déranger, détruisent nos biens, menacent nos vies, et font fuir les touristes loin de nos verdoyantes contrées. Allons-nous supporter cela longtemps ? Non, mes amis, il faut les chasser. S’en débarrasser coûte que coûte. Sus aux monstres !

             Galvanisée par ce discours, la population se leva comme un seul homme. Et, brandissant des torches, des fourches, des faulx, des fusils de chasse, se dirigea vers le château en éructant, la bave aux lèvres et l’œil hagard :

             — Sus aux monstres ! Sus aux monstres !

                                                                                                                                        (A suivre)


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  • La délicatesse

             Bon, d’accord, j’étais amoureuse, mais Sylvain partageait-il ce sentiment ? Rien n’était moins sûr. On préparait nos émissions ensemble, on buvait des coups au troquet du coin, on discutait, on se marrait... et basta. Nos relations se bornaient à ces instants de bonne camaraderie, alors que je rêvais qu’elles se concrétisent dans un grand lit carré couvert de toile blanche lonla.

             Pour ce faire, je conçus un plan machiavélique. J’habitais en banlieue parisienne, et mon dernier train partait à 21h15. Un soir, donc, je m’attardai plus que de coutume dans le studio.

             — Oh, mon Dieu, m’écriai-je, en consultant ma montre, il est presque 22 h. Comment vais-je faire pour rentrer chez moi ?

             — Euh... si tu veux, je te paie un taxi, dit Sylvain, qui n’avait pas un rond.

             — Pas question ! Par contre, tu pourrais peut-être m’héberger ?

             À ma grande surprise, il secoua la tête.

             — Non, je n’ai pas la place... Mais ne t’inquiète pas, on va trouver une solution.

             Sans me laisser le temps de protester, il partit téléphoner et revint avec un grand sourire.

             — Mon copain Seb passe te prendre en voiture dans un quart d’heure ; la piaule de son colloc est libre pour quelques jours. Tu verras, c’est un mec sympa, toujours prêt à rendre service.         

             Supputant une méchante embrouille, je ne desserrai plus lèvres jusqu’à l’arrivée de Seb. Durant le trajet non plus. Et lorsqu’il me proposa un dernier verre, je lui répondis sèchement que j’étais fatiguée. Devant mon air rébarbatif, il s’empressa de me montrer ma chambre, la salle de bains, et s’éclipsa. Bien lui en prit : s’il avait risqué le moindre geste équivoque, je l’aurais mordu !

            Quand, des mois plus tard, devenue intime avec Sylvain, je lui demandai les raisons de ce plan foireux, il me répondit simplement :

             — Je ne voulais pas profiter de la situation. Tu semblais tellement perdue...

             — Et si Seb en avait profité, lui ?

             — Aucun risque, il connaissait mes sentiments pour toi.

             Que répondre à ça ?

              

             


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  • Episode 60

              Résumé des chapitres précédents : Que va exiger la belle Asia, en échange de ses trois cents missiles à têtes nucléaires ? L’avez-vous deviné, petits canailloux ?

     

             L’émotion empourpra les joues de Zoé.

             — Tu y repenses parfois ? fit-elle d’une voix sourde.

             — Très souvent. Et ça me manque, tu ne peux pas savoir !

             — Moi aussi...

             Quelque chose d’à la fois fragile et violent passa entre elles. Comme une aile de papillon portée par la tempête.

             — Asia, dit Zoé, les lèvres tremblantes.

             — Zoé, répondit Asia, le souffle court. 

             Elles fermèrent les yeux ; l’univers bascula.

             — Un, deux trois... caillou ! s’écria Asia en tendant le poing, tandis que simultanément, Zoé, l’index et le majeur écartés, lançait :

             — Un, deux, trois... ciseaux !

             Elles éclatèrent d’un rire attendri. Une joie indicible les illluminait.

             — Feuille !

              — Puits !

              Le jeu, qui ranimait leurs anciennes connivences, se prolongea durant de longues heures. Et quand vint le moment de la séparation :

             — Alors ? Heureuse ? s’enquit Zoé avec douceur.

             Asia hocha la tête en essuyant une larme.

             — Ne me quitte pas, souffla-t-elle. Laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien...

             — Ne te donne pas cette peine, cocotte : je règle quelques petits problèmes et je reviens ! promit Zoé, en tournant la poignée de la porte.

                                                                                                                                 (A suivre)


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  • Le Juif

              — Ton manteau est trop petit, dit maman. Je vais t’en acheter un neuf chez le Juif.

             « Le Juif » tient un magasin de prêt-à-porter, dans le bas de la rue. C’est un commerçant aimable et empressé.

             Nos emplettes terminées, nous remontons chez nous.

             — Pourquoi tu l’appelles « Le Juif » ? demandai-je en chemin. Il n’est pas Belge, comme nous ?

             Maman secoue négativement la tête. Et moi, sans me démonter : 

             — Alors, comment ça se fait qu’il a l’accent bruxellois, hein ? 

             Ce fut la première fois que je doutai de ma mère. J’avais six ans.



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  • Episode 59

             Résumé des chapitres précédents : Zoé est en route pour le Georges V, où elle espère rencontrer Asia Li-Li, éminente trafiquante d’armes. En souvenir de leurs jeunes années, celle-ci ne refusera sûrement par de l’aider !

     

             En pénétrant dans l’appartement d’Asia, Zoé se demanda franchement où elle était. Il y avait tout le mystère et la fascination de l’Extrême-Orient entre ces quatre murs ! Pénombre, tentures, mobilier, bibelots évoquaient quelque bordel de Macao pour milliardaire. De lourdes senteurs d’opium flottaient dans l’atmosphère, ainsi qu’une musique guyue qui semblait sourdre de nulle part et de partout à la fois.

             Sur un lit couvert de tissus précieux reposait une femme d’une beauté admirable.

             — Asia ? s’exclama Zoé, éblouie. Tu es magnifique !

             Elle gardait en mémoire les étapes successives de sa métamorphose. Moche adolescent, puis jeune fille sans attraits, et enfin femme assez quelconque...

             — Le papillon est enfin sorti de sa chrysalide, répondit Asia d’une voix grave.

             Elle se leva, dans un froissement de soie à faire chavirer un ascète castré.

             — Que me vaut le plaisir de ta visite, ma chère Zoé ?

             Notre héroïne n’y alla pas par quatre chemins.

             — J’ai besoin d’armes.

             — Combien ?

             — Beaucoup.

             — Je viens de recevoir une petite cargaison de missiles taïwanais. Trois cents, ça suffirait ?

             — Ce serait parfait.

             — À têtes nucléaires ?

             — Si possible.

             — Je te les fais livrer chez toi, dans la soirée. Tu habites toujours Barbès ?

             — Non, pour l’instant, je suis dans les Pyrénées.

             — Ça tombe bien, j’ai un dépôt à Lourdes. Je le contacte tout de suite... 

             C’était plus que Zoé n’eût osé l’espérer dans ses rêves les plus fous.

             — Comment te remercier ? murmura-t-elle.

             La belle Asiatique eut un rire en cascade, à la fois rauque, doux et follement sensuel.

             — Tu le demandes, bougresse ?

                                                                                                                                 (A suivre)

     


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