•   Épisode 44

      Résumé des chapitres précédents : Le sperme du Petit Prince a fécondé les poissonnes de la Mer de Nord, et créé des milliers de sirènes extraterrestres. C’est pas beau, ça ?

     

             Assommée par ce qu’elle venait d’apprendre, Zoé demeurait silencieuse, quand une exclamation la tira de sa léthargie.

             — Oh ! Regardez !

             Du doigt, Aurore désignait Ruth Prout qui venait d’émerger des vagues, et tentait en vain de grimper dans le canot. Elle semblait épuisée ; son corps n’était qu’une plaie. Autour d’elle, la mer était rouge...

             Cette vision rendit ses esprits à Zoé. Ni une ni deux, elle sauta par-dessus bord pour porter secours à sa partenaire. En quelques brasses, elle la rejoignit, et la hissa dans l’embarcation au moment précis où la jeune femme s’évanouissait.

             L’instant d’après, ayant remis le moteur en marche, elle filait vers le rivage.

             Le SAMU, alerté d’urgence, vint prendre livraison de la nageuse sanglante (et toujours dans les vapes) pour l’emmener au plus proche hôpital, où on ne lui fit pas moins de deux cents treize points de suture. Quand elle s’éveilla, quelques heures plus tard, Zoé était à son chevet.

             — Peux-tu parler ? lui demanda-t-elle avec douceur.

             — Je crois, répondit la blessée d’une voix faible.

             — Que s’est-il passé exactement ?

             Ruth ferma les yeux, comme pour échapper à une vision d’horreur. Ses lèvres tremblaient quand elle articula :

             — L’homme grenouille... il... il...

             Ses yeux se révulsèrent. L’air sifflait en pénétrant dans ses poumons. Elle claquait spasmodiquement des dents. D’une pression sur l’épaule, Zoé l’incita à poursuivre.

             — Il... ?

             — Il baisait les sirènes. Et lorsque j’ai voulu l’en empêcher, elles se sont toutes jetées sur moi, et m’ont attaquée à coups d’ongles et de dents. De vrais piranhas !

             Ce dernier mot s’acheva dans un sanglot. A l’évidence, se remémorer ces tragiques événements la transissait d’effroi.

             — Repose-toi, dit Zoé en se relevant. Je sais ce qu’il me reste à faire...

                                                                                                                                       (A suivre)


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  • Clichés & syntaxe

      Une chose m’étonne depuis des années : le nombre de personne qui, en France, sont convaincues que « Gudule » est un nom masculin. Est-ce par analogie avec « Jules » ? Ou avec des mots tels que bidule, réticule, véhicule, testicule ? (En dépit du fait que molécule, tarentule, pendule, canicule soient, eux, bien féminins.)

             Bref, ce curieux préjugé, doublé d’une aberration linguistique, donna lieu à l’anecdote que voici :

             Il y a une vingtaine d’années, invitée à rencontrer les élèves de CM1 d’une petite ville de la Sarthe, je me pointe dans l’établissement susdit. La directrice vient m’accueillir, et, tout en me pilotant vers le CDI, m’annonce que les mouflets ont adoré « On a un monstre dans la classe ».

             — Ils sont très impatients de vous voir ! précise-t-elle. Depuis ce matin, on ne les tient plus !

             Une rumeur, difficilement contenue par une institutrice débordée, sort, en effet, de la bibliothèque. Mon arrivée y met brusquement fin.

             Trente paires d’yeux me suivent tandis que je m’installe au milieu du cercle et salue à la ronde avant de parler — puisque je suis là pour ça  — de la lecture, du métier d’auteur, de la chaîne du livre, etc...

             Une fois l’exposé terminé, je demande :

             — Avez-vous des questions à poser ?

             Silence consterné, puis un petit garçon lève timidement le doigt. 

             — Madame, c’est quand qu’il arrive, votre mari ?

             Devant mon air stupéfait, la maîtresse explique :

             — Nous attendions monsieur Gudule. D’ailleurs, les enfants vous ont dessiné(e).

             Et de me montrer, garnissant les murs, les portraits naïfs d’un grand gros barbu.

             — En confidence, je crois qu’ils sont un peu déçus que vous soyez une femme, ajoute-t-elle, avec un rire gêné. Depuis le début, je leur parle d’UN écrivain, vous comprenez ? Est-ce ma faute, à moi, si ce mot-là n’existe qu’au masculin ?

        


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  • La Zèbre, fidèle lectrice des aventures de Zoé, a illustré le dixième épisode — celui où votre trayeuse favorite boit un coup avec Sire Concis. Je vous livre son œuvre toute chaude, et j'en profite pour la remercier de donner ainsi un visage au feuilleton. 

    zoe-broborygme.jpg

    Si cela tente d'autres lecteurs, je suis preneuse et me ferai un plaisir de leur faire une chtite place sur ce blog !


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  • Épisode 43

      Résumé des chapitres précédents : Aurore Audoigtdefée et le Mollah Mou viennent de porter une terrible accusation. Selon eux, Zoé et ses amis seraient responsables de l’extinction programmée de la race humaine...

     

             — Eh, ho, qui c’est qui a déversé les deux mille tonnes de sperme dans la mer ? reprit le Mollah Mou d’un ton gouailleur. Moi, peut-être ?

             L’ironie qui perçait dans sa voix fit frissonner Zoé.

             — Non, c’est nous... Et... et alors ? balbutia-t-elle, la gorge sèche.

             Deux rires glaçants firent écho à sa question.

             — « Et alors ! » Elle demande « Et alors » ! s’esclaffait Aurore.

             — Comme si la chose n’allait pas de soi, pouffait le Mollah.

             Puis, tous deux en chœur :

             — Et alors, les spermatozoïdes du Petit Prince ont fécondé les poissonnes, figure-toi !

             — Mais... comment est-ce possible ? Les cellules humaines sont incompatibles avec...

             — Humaines, peut-être, mais pas extraterrestres ! rétorqua Aurore, le visage fendu par l’hilarité. Tu as oublié que le Petit Prince était un être à sang froid ?

             — Les milliers de sirènes qui peuplent aujourd’hui les fonds sous-marins sont ses filles, conclut le Mollah Mou dans un éclat de rire.

             « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » fut tout que Zoé put répondre à cette épouvantable — mais cohérente — nouvelle.

                                                                                                                                        (A suivre)



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  • L’insulte

            Olivier était le plus typé de mes trois enfants. Gamin, il ressemblait à s’y méprendre au Mowgli duLivre de Jungle. Comme nous vivions à Aubervilliers, haut-lieu d’immigration où sévissait déjà, en ces pourtant douces années soixante-dix, un racisme larvé, j’avais pris les devants. Je détournais toutes les insultes dont mon petit garçon risquait d’être victime — bougnoule, melon, crouille, et autres joyeusetés issues de la colonisation —, pour en faire des mots tendres. Du genre : «  mon petit melon d’amour », voyez ? Ou « mon crouillat en sucre ». Ainsi, me disais-je dans ma grande naïveté, il sera blindé contre ce genre d’horreur et ne les ressentira pas comme dévalorisantes...

             Un jour, pourtant, je le récupérai en larmes, à la sortie de l’école.

             — On m’a traité de sale Juif, m’expliqua-t-il entre deux sanglots.

             Et merde. Celle-là, je ne l’avais pas prévue. 


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