• Le nom des Jean

             J’apprends par la rumeur publique que Jean-Paul a quitté sa femme. Consternée, je téléphone à cette pauvre Mireille pour prendre de ses nouvelles. 

              — Je vais très très mal, me répond-elle, avant de décrire en long et en large ses symptômes dépressifs, bien légitimes compte tenu des  circonstance.

             Au terme des formules compassionnelles d’usage, je finis par demander :

             — Et avec ton mari, comment ça se passe ?

             — Jean-Pierre ? Oh, lui, tu le connais : il pète le feu ! D’ailleurs, faudra qu’on vous invite, un de ces quatre.

             Je bredouille une vague excuse avant de raccrocher, le cœur dans les talons. Bougre de foutue distraite : la femme de Jean-Paul, ce n’est pas Mireille, c’est Hélène...


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    Episode 51

      Résumé des chapitres précédents : Quel est l’être qui crie d’une si atroce manière dans les inquiétantes tours de Maldonjon ? 

     

             Au même moment, un dragon fendit le ciel d’un vol lourd.

             — Eeeh, Sire Concis ! le héla Zoé, en s’extirpant de sa cachette pour lui faire de grands signes.

             L’interpellé baissa la tête. 

             — Mais... ma parole, c’est Zoé !

             Il semblait ravi de la voir et, ayant atterri à ses côté, lui plaqua deux bisous sonores sur les joues. Au même moment, l’effroyable cri retentit à nouveau.

             — Ah, ces gosses ! soupira-t-il avec attendrissement.

             — C’est... c’est un gosse qui fait tout ce boucan ? bégaya Zoé, médusée.

             — Oui, mon fils Cédric. Il est très gentil, mais plutôt capricieux. En fait, il déteste la cuisine de sa mère...

             Baissant d’un ton :

             — Et, en confidence, moi aussi !

             D’un pas léger, il gagna la porte qu’il poussa en riant.

             — Chérie ! Je suis rentré !

             Le cri se mua en ânonnement :

             — Papa !

             Puis il y eut un bruit épouvantable, et le château parut sur le point de se disloquer.

             — Doucement, Cédric, dit Sire Concis.

             Apparut alors, dans l’embrasure de la porte (qui était monumentale, est-il besoin de le préciser ?) une énorme tête bavante et hilare.

             — Mais... mais..., bêla Zoé.

             Bien que Ruth l’eut prévenue que l’enfant était gros, cette vision lui fit quand même un choc. À côté de lui, son père — de belle taille pourtant ! —, avait presque l’air d’une figurine.

             Saisissant Sire Concis dans l’une de ses menottes, le monstrueux poupon le porta à sa bouche et le mâchouilla.

             — As-tu remarqué comme il est affectueux ? souffla Sire Concis, à demi noyé dans la bave.

             Zoé ne répondit pas. Elle songeait aux couches qu’il fallait changer six fois par jour. Et ça, franchement, ça la perturbait !                                                                                 

             (A suivre)

              


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  • Le sens de la vie

      Je devais avoir huit ou neuf ans quand cette question  commença à me turlupiner : comment faisait-on les enfants ? Jusque là, je m’étais contentée de l’explication de ma mère : la future maman prie avec ferveur, et si le Bon Dieu estime qu’elle en est digne, il place un bébé dans son ventre. En gros, selon ce principe, toutes les femmes étaient des Saintes Vierges.

             La charmante illusion eut pu durer longtemps s’il n’y avait eu les copains du Thier-à-Liège et leur fameuse « councougne ».

             Ayant entendu à plusieurs reprises ce mot de swaïli, ramené du Congo par les coloniaux, j’en demandai le sens à Jean-Aimé dont le père avait fait son service dans les paras. Il se mit à rire et ébaucha un geste — l’index de sa main droite entrant et sortant de son poing gauche — qui, bien qu’éloquent, ne m’éclaira guère.

             Devant mon air perplexe, il précisa :

             — Les parents councougnent pour mettre la graine.

             Et comme je ne comprenais toujours pas, il m’indiqua deux chiens — dont la caniche de ma tante — en train de copuler :

             — Comme eux, quoi ! Après, Mirza aura des jeunes.

           Offusquée par la grotesque comparaison — et l’ignominie qu’elle sous-entendait —, je m’écriai :

             — Je ne te crois pas, t’es rien qu’un menteur ! Jamais mes parents ne feraient ce truc dégoûtant !

             Pourtant, bien que je m’en défende, le doute était semé. Aussi, quand Mirza accoucha, interrogeai-je l’aîné de mes cousins qui l’assistait :

             — Ça se passe comme ça, la naissance des enfants ?

             — Bien sûr, répondit-il. Tous les êtres vivants se reproduisent de la même manière.

             — Et... euh... le truc d’avant, pour les fabriquer ?

             — Pareil.

             À dater de ce jour, j’ai regardé ma mère d’un autre œil. Sous ses airs puritains, elle avait vraiment une curieuse façon de prier ! 

     


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  • Episode 50

      Résumé des chapitres précédents : Maldonjon, la fermette de Sire Concis et Ruth Prout, n’est pas réellement appréciée, dans le coin. Mais bon, quand on voit la note de restau des touristes, on se dit que les locaux n’aiment pas les étrangers, point barre. Pas de quoi en faire un fomage !

     

             «  C’est ça, leur fermette ? » s’étonna Zoé.

             Sur la grille rouillée qui donnait accès à la propriété, une plaque de cuivre à moitié déglinguée indiquait, en effet, « Maldonjon ». De l’autre côté, c’était la jungle. Un intextricable fouillis végétal d’où émergeaient les tours d’une sorte de château en ruine — ou, du moins, en mauvais état.

             « Normal, au prix où sont les artisans, pensa Zoé, en poussant le portail grinçant. S’ils s’alignent sur le tarif des auberges ! »        

             Le crépuscule noyait d’ombre le parc mal entretenu. Bien qu’avançant à l’aveuglette, notre héroïne parvint — après moult égratignures, piqûres d’orties et torsions de chevilles —  devant le bâtiment. Elle escaladait le perron branlant quand un cri s’éleva dans l’ombre. Mais un cri... un cri !

             Terrifiant. Énorme. Assourdissant. Horrible. Et tel que le château vacilla sur ses bases.

             — Mon Dieu ! souffla Zoé, épouvantée. 

             Elle redévalla les marches aussi sec, pour aller se planquer dans un fourré voisin.

             Sur ces entrefaites, un deuxième cri succéda au premier, puis un troisième, plus inhumains encore (si c’est possible).

             Le sol trembla.

             Les rapaces nocturnes s’enfuirent en raffale.

             Un loup, quelque part, hurla à la mort.

             Et dans l’atroce silence qui suivit, l’on put entendre une voix douce proférer :

             — Voyons, mon chéri, calme-toi. Elle n’est pas si mauvaise, cette soupe... Regarde, j’en mange !

                                                                                                                                     (A suivre)


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  • Les couvertures qui grattent

    C’est stipulé sur les contrats : le « packaging » des livres ne concerne que l’éditeur. L’auteur n’étant, par essence, pas habilité à commercialiser son œuvre, la couverture, la quatrième de couv, voire même le titre ne sont pas de son ressort. Ça donne parfois des résultats bizarres. Je me souviens d’un petit roman érotique, paru en 1986 dans la presse de charme, que j’avais intitulé « Le sexe des anges ». À mon insu, et par la grâce du rédacteur en chef, c’était devenu « Soumise à mon élève » — ce qui n’avait strictement rien à voir avec l’histoire mais était, paraît-il, plus vendeur. Les amateurs d’institutrices masos n’ont pas dû apprécier ! 

    En ce qui concerne les quatrièmes de couv, rédigées d’ordinaire par le directeur de collection (ou son assistante), nous avons plusieurs cas de figure :

    1) Le résumé est si éloigné de l’intrigue que l’auteur lui-même s’y perd. Cette interprétation subjective peut aller jusqu’à trahir totalement sa pensée, et lui faire dire l’inverse de son propos.

    2) Le truc dévoile, en trois lignes, un suspense distillé parcimonieusement sur deux cents pages.

    3) C’est tellement mal écrit que ça ne donne pas du tout envie de lire le livre.

    4) La personne, trop pressée, n’a eu le temps de parcourir que quelques chapitres, et base tout son argumentaire sur une anecdote sans le moindre intérêt.

    Rares sont, hélas, les éditeurs qui ont l’intelligence de confier cet exercice à l’auteur, qui est pourtant le mieux placé pour faire la synthèse de son propre texte — enfin, il me semble.

    Quant aux illustrations, alors là... Nous touchons un sujet sensible. Que de fois, au cours de ma carrière, j’ai grincé des dents devant mon bébé défiguré ! Un exemple au hasard : « La vie en Rose », repris par France Loisirs dans sa collection Piment. Le roman débute ainsi Rose n'était pas jolie, ça, non ! Le genre souffreteuse à la limite de l'anorexie. Un nez trop long, des lèvres trop minces, une petite tête aux cheveux ras posée sur un frêle cou de victime, pas de seins, pas de hanches... Bref une allure pitoyablement androgyne alors que l'époque prônait les stars mamelues, à la taille fine et au fessier avantageux. Or, la couverture s’orne du portrait — affreux ! — d’une grosse blonde boudeuse aux cheveux longs...

      Gudule-La-Vie-En-Rose-Livre-767599735 ML

    Ces pataquès éditoriaux seraient risibles si, neuf fois sur dix, ils n’engendraient ce corollaire cynique :

     — Désolés, mais vu les chiffres de vente de votre dernier livre, nous ne pouvons pas vous prendre le suivant.

     Sachez, bonnes gens, que quand un bouquin fait un flop, c’est toujours la faute de l’auteur.


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