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      Episode 57

             Résumé des chapitres précédents : La petite annonce n’a rien donné. Et franchement, un seul bébé pour venir à bout de milliers de monstres noirs, c’est un peu peu. Comment nos amis vont-ils bien pouvoir enrayer le fléau ?

     

             Ce fut Zoé qui eut l’idée. Comme quoi, on peut être à la fois trayeuse et pleine de ressources, c’est pas incompatible.

             — Et si on passait une petite annonce ?

             — Encore ? réagirent simultanément Ruth Prout et Sire Concis. Un échec ne t’a pas suffi ?

             — Je me suis mal exprimée, pardon. Je parlais d’une pub alléchante.

             — Quel genre ?

             — Colonie de vacances.

             Et d’expliquer son plan. Proposer aux parents affligés de loupiots géants un séjour gratuit pour leurs enfants, dans un cadre riant, avec activités ludiques, grand air, personnel spécialisé et tout le toutime.

             — Vu l’encombrement et les contraintes que représentent ces rejetons — excuse-moi, Sire Concis, mais tes gènes manquent singulièrement de discrétion ! —, nombre d’entre eux sauteront sur l’occasion, je pense. Histoire de souffler un peu, voyez ?

             Elle ne se trompait pas. Des centaines de réponses leur parvinrent aussitôt, et, dans les jours qui suivirent, Maldonjon fut le cadre d’un véritable déferlement de demis-frères et demis-sœurs de Cédric. On les stocka dans le parc du château qu’ils s’empressèrent de ravager, arrachant les arbres pour les mâchouiller, piétinant les futaies centenaires, barbotant dans les étangs avec des éclats de rires à ébranler une montagne.

             Devant tous ces êtres issus de son sang, Sire Concis avait les larmes aux yeux. Lui qui avait toujours rêvé d’une famille nombreuse... Il fut donc promu gentil animateur, tandis que Zoé et Ruth assuraient l’intendance. C’est qu’il en fallait, des couches et des biberons, pour tout de petit (!) monde !

             Il fallait autre chose aussi, et d’urgence.

             Définir une tactique.

             Trouver des armes.

             Et procéder à l’entraînement des troupes.

             Car là-bas, sur le littoral dévasté, les monstres de mazout avançaient toujours...

                                                                                                                                        (A suivre)


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  • L’appel


             Maman avait un rêve : que l’un de ses enfants se consacre au Seigneur (c’est-à-dire devienne prêtre ou religieuse). Comme mes frères ne semblaient pas avoir la vocation, elle se rabattit sur moi.

             — Tu seras peut-être un jour l’épouse du Christ, me disait-elle souvent.

             L’idée ne me déplaisait pas, a priori : je trouvais les robes des nonnes assez seyantes. Cependant, un détail pratique me tracassait. On m’avait expliqué que les jeunes gens bien élevés faisaient leur demande en mariage avec des gants blancs et un bouquet de fleurs. Dieu se pliait-il à ces coutumes terrestres, ou utilisait-il une méthode plus grandiose, du genre apparition dans le soleil couchant ou pluie de rose, comme pour sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ?

             Ma question amusa maman mais ne la désarçonna point.

             — Il t’enverra un signe, promit-elle.

             — Lequel ?

             — Je l’ignore, à toi d’être à l’écoute.

             A l’écoute, donc, je me mis. Hélas, malgré toute ma bonne-volonté, rien ne se passa. Aucune voix céleste ne m’appela à un destin exceptionnel et, même en songe, nulle vision édifiante ne m’apparut. Force me fut donc d’admettre que le Très-Haut ne voulait pas de moi dans son harem.

             J’en avais pris mon parti quand un jour, au Thier-à-Liège, en fouillant avec mes camarades dans la décharge du terril, sur quoi tombai-je ? Je vous le donne en mille !

             Une pierre de la dimension d’un poing. Enfin, à première vue. En y regardant mieux, et bien que ses traits fussent effacés par l’érosion, il s’agissait d’une tête. Celle d’une statue pieuse au menton orné d’une barbe. Mon cœur se mit à battre comme il n’avait encore jamais battu.

             Le signe !

             Je courus planquer ma trouvaille sous mon oreiller, convaincue que, durant la nuit, elle me chuchoterait de tendres aveux pour m’inciter à entrer au couvent. Re-hélas, j’eus beau tendre l’oreille, la tête miraculeuse resta muette. Et, comble du comble, le lendemain, en faisant mon lit, Tantine — pourtant si pieuse, d’ordinaire — l’extirpa de sa cachette pour la jeter aux ordures.

             Après ça, on s’étonnera qu’il y ait une crise de vocations, dans l’Eglise catholique !  

     

     


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  •           Episode 56

              Résumé des chapitres précédents : L’idée de Sire Concis d’envoyer le petit Cédric au casse-pipe n’est pas si mauvaise. À conditionde lui donner des compagnons, évidemment ! Mais où les trouver ?

     

             Un sourire de triomphe éclairait le visage de Zoé.

             — L’insémination ! lâcha-t-elle.

             — L’insémination ? répétèrent les deux autres, suspendus à ses lèvres. Quelle insémination ?

             — Sire Concis a bien donné du sperme à la BNS, à une certaine époque, non ? Ne nie pas, Sire Concis, c’est moi-même qui t’ai trait.

             — Moi aussi, dit Ruth Prout. Et pas qu’un peu, mon neveu !

             — Il doit donc y avoir, de par le monde, un certain nombre de femmes qui ont mis au monde des petits cédrics...

             Le dragon se mordillait les lèvres avec perplexité.

             — Pas bête, admit-il, pas bête du tout. Le problème, c’est où, et comment les trouver...

             — Internet, dit Ruth Prout.

             Ça tombait sous le sens. Avec un cri de triomphe, tous trois se ruèrent, d’un même élan, vers le PC.

             Bientôt, s’étala sur facebook et twitter cette petite annonce : « Recherchons bébés géants ailés pour sauver le monde. Vite, nom d’une pipe, ça urge ! »

             Ils attendirent huit jours, l’espoir au cœur.

             Et ne reçurent pas la moindre réponse.  

             — L’égoïsme humain n’a pas de limites, se morfondait Zoé.

             — Aucun parent digne de ce nom n’expose sa progéniture au danger, expliquait Ruth Prout.

             — A moins qu’ils n’aient cru à un canular, supposait Sire Concis.

             Et pendant ce temps-là, les créatures de mazout se répandaient sur la côte...

                                                                                                                                      (A suivre)


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  • ... qui, cette fois, a illustré l'épisode 40.

    ch40.jpg


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  • Rascale

              J’ai un certain don pour me faire avoir, et même un don certain. Ça devait être en 1986-87, par là. Un vendredi soir, une copine (nommons-la Rascale, ça lui va comme un gant), qui avait créé une revue publicitaire où elle employait des rédacteurs au noir, vient me trouver, affolée.

             — Faut que je paie mes gars et je n’ai plus de liquide. Tu pourrais me dépanner de cinq mille francs jusqu’à lundi ?

             Cinq mille francs ?! À l’époque, pour moi, c’est une petite fortune !

             — J’ai pas assez sur mon compte, réponds-je, à tout hasard.

             — Sois sympa, insiste-t-elle, je suis dans la merde jusqu’au cou. Ces cons m’ont posé un ultimatum : ou je leur file leur pognon, ou ils stoppent le numéro en cours. Tu imagines la tête des annonceurs ? Il ne me restera plus qu’à mettre la clé sous le paillasson.         

             Elle est si pathétique que, bon an mal an, je retire la somme au distributeur.

             Le week-end passe. Puis la semaine. Pas de nouvelles de Rascale. Au bout de quinze jours, je l’appelle.

             — Et mon fric ?

             — Désolée, répond-elle, ma comptable est formelle : on ne peut pas sortir d’argent sans facture. 

             — Comment comptes-tu me rembourser, alors ?

             — Apporte-nous tout ce que tu peux récupérer comme tickets de caisse : restaurants, matériel informatique, fournitures de bureau, documentation... Au besoin, demandes-en à tes potes. On les passera en notes de frais jusqu’à concurrence de ce qu’on te doit. 

             Me voilà bien embarrassée : des tickets de caisse en rab, j’en ai pas la queue d’un. Mon entourage non plus. Va falloir que j’achète un tas de trucs... Oui, mais quoi ? D’indispensable, je veux dire. Qui justifie de claquer à nouveau cinq mille francs.

             C’est alors qu’une idée rigolote germe dans ma cervelle. Et si je m’offrais une journée de folie ? Une journée comme je n’en ai jamais vécue ? Allez, au diable l’avarice : je casse mon Codevi et renouvelle ma garde-robe – moi qui, depuis toujours, m’habille aux Emmaüs. Puis j’emmène ma fille chez le coiffeur, la renipe, et tant qu’à faire, Sylvain aussi.

             C’est dingue ce que ça file vite, les sous, lorsqu’on se lâche. Mais bon, j’ai mes tickets.

             Quand je les apporte à Rascale, elle fronce le nez.

             — Des fringues, des pompes, le coiffeur... Tu te moques de moi ?

             — Pourquoi ?

             — J’avais dit des achats plausibles. En cas de contrôle fiscal, qu’est-ce que je donne comme explication, tu peux me le dire ? Que je me suis renipée aux frais de la princesse ? Ils vont me rire au nez, les mecs. Et je serai bonne pour un redressement mahousse !

             Bref, cette affaire m’a coûté toutes mes économies. En revanche, j’ai jamais été aussi bien sapée de toute ma vie.  



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