• Pornographie

       Dans les années 70, mes parents venaient, tous les trois ou quatre mois, passer quelques jours chez nous, en banlieue parisienne. À chaque fois, c’était le branle-bas de combat. On rangeait la maison de fond en comble, on lavait les carreaux, on tondait la pelouse, et on faisait disparaître toutes les BD « salaces » : Hara-kiri, L’Echo des Savanes, Charlie hebdo, Fluide Glacial, etc. Bref, notre joyeux bordel se métamorphosait en un foyer modèle.

             Mais maman avait un œil de lynx. Rien ne lui échappait. En dépit de nos efforts, elle dénichait toujours le détail qui clochait, dans ce décor factice. C’était un fin limier, ma mère !

             Cette fois-là, en cherchant de la lecture dans le porte-journaux, elle tomba sur un « F Magazine », l’hebdomadaire de Claude Servant-Shreiber que j’avais placé bien en évidence. Un truc sans danger, qui faisait sérieux. Des articles de fond, des reportages, des interviews de femmes édifiantes, style Edith Cresson ou mère Teresa... En gros, nulle trace d’humour ni surtout de gaudriole.

             Enfin, je le croyais. 

             Je me trompais, hélas. Car, dans ce numéro — précisément celui-là — qu’y avait-il ? Je vous le donne en mille. Un dossier sur la masturbation féminine.

             À cette vue, le sang de ma mère ne fit qu’un tour.

             — Quel torchon ! explosa-t-elle. Comment oses-tu laisser de telles obscénités à la portée de tes enfants ? Tu es complètement inconsciente, ma parole ! Si la pornographie t’amuse, ça te regarde, tu es adulte, mais ne pervertis pas des âmes innocentes !

             J’eus beau lui expliquer que Frédéric et Olivier — neuf et six ans — n’en avaient rien à battre des revues féministes, elle ne voulut pas en démordre. L’engueulade terminée, elle fit ses bagage, entraîna mon père consterné, et ils partirent sur l’heure. Pour fuir ce lieu de perdition, sans doute... 



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  • Episode 17

       Résumé des chapitres précédents : le mystère de la disparition des deux mille tonnes de sperme est sur le point d’être résolu.

     

             — Par philanthropie ? s’exclamèrent en chœur Zoé et Sire Concis. Qu’entendez-vous par là ?

             Ruth se mordit les lèvres.

             — J’aime les hommes.

             — Ce n’est pas une raison pour voler leur semence ! s’indigna Zoé.

               Petite fétichiste, va ! gloussa Sire Concis. 

             — Par « hommes », j’entends l’humanité en général, précisa la fermière, très digne.

             Puis, comme ses interlocuteurs ne semblaient pas comprendre.

             — C’est à cause de mon mari, ajouta-t-elle.

             — Il est impuissant ?

             — Non, au contraire : il produit une telle quantité de sperme qu’il dépose le surplus à la banque. Enfin... déposait. À mon insu, bien sûr ! Mais il y a quelques jours, j’ai découvert le poteau rose.

             Dans la tête de Zoé, cette révélation fit « tilt ».

             — Vous ne vouliez pas qu’il féconde une autre femme, c’est ça ?

             — En gros, oui.

             — Et du coup, vous avez tout raflé pour être sûre de bien récupérer le sien. Je me trompe ?

             — En gros, non

     

             — Ah bon, c’est juste une histoire de jalousie ? s‘écria Sire Concis. Vous ne pouviez pas le dire tout de suite ?

             Ruth Prout le toisa de la tête aux pieds.

             — Pauvre con, lâcha-t-elle.

             Le dragon, vexé, piqua du nez.

             — Si mon mari se reproduisait, ce serait une catastrophe pour l’humanité tout entière, reprit la fermière à l’intention de Zoé.  Pourquoi donc croyez-vous que je n’ai pas d’enfant ?

                                                                                                                                         (à suivre)


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  • Ze mufle

              Nous avions un ami — paix à ses cendres —, dessinateur de talent et rustre achevé. Appelons-le Roger. La première fois qu’il vint dîner à la maison, j’avais mis, comme de juste, les petits plats dans le grands. Un mezzé libanais trônait sur la grande table : une quinzaine de ramequins remplis de taboulé, m’jadra, hommos, kebbé, feuilles de vigne farcies, koftas, falafels, et j’en passe... Mes gosses tournaient autour comme un essaim de mouches et Alex salivait en regardant sa montre toutes les cinq minutes.

             Enfin, Roger se pointe, avec une heure de retard.

             — Passons à table, dis-je, car les enfants ont faim.

             Tandis que mes loupiots font honneur au repas, Roger se penche vers moi :

             — Tu n’aurais pas des œufs ? me glisse-t-il à l’oreille. Parce que tu comprends, moi, ce genre de ragougnasse...

             Et, sans une once de gêne, il va dans la cuisine se fristouiller une omelette.

             À sa visite suivante, j’ai servi des tartines. 


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  • Episode 16

     Résumé des chapitres précédents : Hourra, Ruth Prout, la fermière baroudeuse, va passer aux aveux !

     

             Ce fut là que Zoé eut cette phrase magnifique :

             — Qu’as-tu fait à la banque, Ruth ?

             La fermière baissa la tête.

             — Je l’ai vidée, dit-elle.

             — Comment ?

             — À l’aide d’un gros tuyau de fosse septique.

             L’explication fut longue mais convaincante. Tout comme Bourvil dans « Le Cerveau » ou comme Woody Allen dans « Escroc mais pas trop », Ruth avait loué le local voisin de la banque et creusé, dans le mur mitoyen, un tunnel pour atteindre le coffre fort. Puis, en une nuit, elle avait transvasé les réserves de liquide dans un camion-citerne pour les déverser ensuite dans son silo.

             — Admirable, marmonnait Sire Concis, tandis qu’elle parlait. Absolument prodigieux ! Et vous avez fait ça toute seule, petite madame ? Avec vos faibles forces et vos jolies mains ?

             — Il la ferme, çui-là, ou je lui en colle une ? dit la fermière.

             — Oh oui ! Oh oui ! applaudit le dragon, qui était légèrement maso.

             D’un geste autoritaire, Zoé apaisa leurs transports.

             — Mais... pour quelle raison avez-vous cambriolé cet établissement ? demanda-t-elle. Pour l’argent ? Vous aviez un client pour ce genre de produit ? La mafia, peut-être ?

             Ruth Prout leva les yeux au ciel.

             — Pas du tout ! Qu’allez-vous chercher là ?

             — Alors, pourquoi ?

             La fermière poussa un profond soupir, qui fit tanguer sa formidable poitrine.

             — Par philanthropie, répondit-elle.

                                                                                                                                             (à suivre)


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  • Moins de stress, plus de strass

       J’ai toujours détesté les bijoux... sauf un, offert par mon copain Alain pour Noël 1986. Un kitchissime collier de strass vert pomme que je portais avec mon Perfecto. La classe !

             Quelques mois plus tard, je me rends en Belgique pour l’anniversaire de ma mère. Et dans le train, catastrophe ! je réalise que j’ai oublié son cadeau. Or, elle adore les colliers, et justement, j’ai le mien sur moi...

             Qu’à cela ne tienne ! Avec – tout de même — un pincement au cœur, je le retire, l’emballe de mon mieux, et sur le quai de la gare où elle m’attend avec papa, le lui offre solennellement.

             Elle me remercie, m’embrasse... et l’enterre au fond d’un tiroir.

             Lors de ma visite suivante, je lui pose la question :

             — Pourquoi ne mets-tu jamais le collier que je t’ai donné ? Tu ne l’aimes pas ?

             — Non, pas beaucoup, me répond-elle.

             Elle hésite un instant, puis ajoute :

             — Je n’aurais jamais cru que tu avais aussi mauvais goût !

     

             Après son décès, je l’ai récupéré. Mais comme le look branché des années 80 était devenu ringard, il est resté dans son tiroir. Si maman voit ça de là où elle est, elle doit bien se marrer ! 


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