• Histoire ridicule

       Pour continuer dans le même registre, en 1973, j’avais écrit un p’tit poème intitulé « Histoire ridicule », dont toutes les rimes étaient en « ule ». Il commençait ainsi :

     

                      C’est un chat noctambule

                      À bord d’un véhicule

                      Qui dans un vestibule

                      Chaque nuit déambule.

     

             Pour la rime, je l’avais signé « Gudule » (du nom de la chatte chieuse, vous vous souvenez ?) et, adapté en BD par Alex, il était paru dans l’Echo des Savanes. Or, non contente d’être à l’origine de mon pseudo, cette BD avait retenu l’attention d’un jeune chanteur, Antoine Lavergne, qui se cherchait un répertoire. Il nous téléphone donc, nous explique de quoi il retourne, et on prend rendez-vous. Comme il est assez pressé, il a déjà conçu une prémaquette musicale qu’il nous fait écouter. C’est pas mal du tout, et chez Pathé, ils sont partants.

             Wahou.

             On profite de l’opportunité pour essayer de placer nos autres chansons. Antoine, intéressé, nous promet d’en parler en haut lieu, et une semaine plus tard, nous nous retrouvons dans le bureau d’un ponte de la maison de disque. Alex a emmené sa guitare, moi mon cahier de poèmes, et, très intimidés, nous nous « produisons » devant une demi-douzaine de professionnels, assis en demi-cercle autour de nous.

             Or, je crois l’avoir déjà dit, ces chansons sont sentimentales et désuètes — un peu style Anne Sylvestre à ses débuts, voyez ? Rien de commun avec l’humour déjanté d’« Histoire ridicule ». Résutat : un bide catastrophique. En fait, c’est nous qui nous couvrons de ridicule...

             Après moult échanges de regards consternés, nos auditeurs s’éclipsent les uns après les autres, nous laissant seuls avec Antoine.

             — Vous n’avez rien de moins boy-scout ? s’informe celui-ci, quand s’achève vaille que vaille le laborieux récital.

             Ce fut la dernière fois que nous les interprétâmes, ces malheureuses chansons — dont j’avais espéré, dans ma grande naïveté, qu’elles séduiraient Brassens.  

     


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  • Impasse Florimont

       Nous venions d’arriver en France quand, en lisant un article sur Brassens, j’apprends qu’il habite impasse Florimont, derrière la gare Montparnasse. Or, non seulement c’est mon idole depuis toujours, mais je caresse l’ambition d’écrire, moi aussi, des chansons. Avec Alex, nous nous sommes essayés à la chose. Il met mes poèmes en musique et on les interpète en duo. C’est tendre, un peu vieillot, mais ça plait aux copains, et moi, j’y crois à fond. J’ai juste besoin que quelqu’un du « milieu » me donne un p’tit coup de pouce. Pourquoi pas le grand Georges, qu’on dit attentif aux nouveaux talents ?

             Un matin, donc, j’embarque mes loupiots de trois et six ans dans le métro. On traverse tout Paris et, portant l’un, traînant l’autre, je parviens, sous une pluie battante, à la fameuse impasse. Le cœur houleux, je sonne ; pas de réponse. Je re-sonne, idem. Le Maître des lieux est absent... Qu’importe, j’ai tout prévu. Je sors mes manuscrits de leur sac en plastique, j’y adjoins la lettre écrite au cas où, et je glisse le tout sous le portail métallique qui ferme la propriété. Puis je m’en retourne chez moi, avec mes gosses et mon espoir.

             Espoir déçu, hélas. Les semaines passent sans m’apporter aucune nouvelle. Force est de me rendre à l’évidence : le Maître n’en a rien à cirer de mes œuvrettes. Encore une illusion qui se fait la malle.

             L’ai-je maudit, le pauvre homme ! L’ai-je traité de tous les noms, en mon for intérieur ! J’ai même cessé d’écouter ses disques, c’est dire ! Jusqu’à ce que j’apprenne incidemment qu’il n’abitait plus là depuis quatre ans. Coup de bol, si on y pense. Car imaginons qu’il ait lu mes textes, les ait aimés et m’ait ouvert les portes du chaud-bizz — c’est juste une supposition, hein !—, je serais peut-être devenue parolière, qui sait ?  Je n’aurais jamais écrit ni romans, ni nouvelles, et je ne serais pas là, sur mon blog, en train de vous raconter mes histoires à la con. A quoi tient le destin, quand même ! 



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  • La chieuse

      En ce temps-là, je ne m’appelais pas encore Gudule ; c’était le nom d’une de mes chattes, une chartreuse belle comme tout et parfaitement stupide. Nous vivions, avec Alex et nos deux fils, dans un petit pavillon de Seine-et-Marne, et travaillions à Pif. Vous situez l’époque ?

             Un jour, le téléphone tombe en rade. J’appelle les P et T qui envoient un réparateur. Ce dernier constate la panne sans en comprendre la cause : il a testé la ligne avec succès, et logiquement, ça devrait marcher.

             En dernier ressort, il demande à voir la prise. Elle est hors de portée, derrière un gros buffet acheté aux Emmaüs et pesant un âne mort. Comme il insiste, je l’aide péniblement à le déplacer, ce qui met à jour un vision d’épouvante : la prise téléphonique disparaît sous une énorme bouse, faite de multiples couches d’excréments séchés.

             — Inutile de chercher plus loin, dit le réparateur d’un ton las.  Vous n’avez pas de bac à chat ?

             Parole d’honneur, j’étais aussi confuse que si ç’avait été moi, la chieuse ! 

             J’ai pris, peu de temps après, le pseudonyme de « Gudule ». Sans qu’il y ait là aucune relation de cause à effet, bien entendu ! 


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  • Caprice des vieux

       Mon père a passé les dernières années de sa vie à Spa, dans une maison de retraite proche de son domicile. En dépit de mon insistance, il refusait de quitter les Ardennes belges pour venir, selon son expression, « s’enterrer à Paris ».  Bien qu’il reçoive de nombreuses visites, ses enfants, disséminés aux quatre coins du globe, lui manquaient cruellement. Comme j’étais la plus proche, dès qu’il avait un petit coup de mou, il me téléphonait. Or, des coups de mou, il en avait de plus en plus souvent, malgré sa nature optimiste...

             Cette fois-là, la sonnerie me réveille à l’aube. C’est lui, en larmes. Il faut que je vienne tout de suite, ça va très mal, le personnel soignant le persécute, il ne restera pas un jour de plus dans cet horrible endroit.

             — OK, bouge pas, j’arrive.

             Je décommande tous mes rencards professionnels, et, plantant là Sylvain, Mélanie et mon roman en cours, je saute dans le premier train.

             Rejoindre Nivezé, où se trouve sa résidence, est une vraie galère en transports en commun. Le train me dépose à Verviers où je prends le tortillard régional jusqu’à Spa. De là, un car remonte sur les hauteurs, mais le dernier vient de partir. Moment de découragement intense : la nuit tombe, j’ai quitté Paris à neuf heures ce matin, j’en ai plein les bottes et va falloir que je me tape cinq kilomètres à pied, à travers bois.

             Bon. 

             Tout en marchant, je rumine. Dans quel état vais-je trouver mon pauvre papa ? J’élabore des plans pour organiser son départ ainsi que le déménagement de ses meubles. Je l’installerai provisoirement dans notre chambre ; Sylvain et moi, on dormira sur le clic-clac en attendant de lui trouver un studio. Il y en a un qui va peut-être se libérer dans l’immeuble...

             Lorsque j’arrive, tous les pensionnaires sont au réfectoire — agencé comme une salle de restaurant : petites tables, nappes roses, éclairage tamisé, musique douce. Papa, qui termine son dessert en compagnie de deux charmantes vieilles dames,  m’accueille d’un joyeux :  «  Ma chérie ! Ça alors, quelle surprise ! » Et quand, stupéfaite, je lui rappelle son coup de fil du matin, il me répond avec un grand sourire :

             — Je t’ai appelée au secours, moi ? Tu es sûre ? Je ne m’en souviens plus. Je devais avoir envie de te voir, sans doute...

           Désarmant, non ?  


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  • .  La moutarde me monte au nez

       J’ai travaillé durant quelques années pour une entreprise de presse dite "de charme", dirigée par un jeune arménien, Toufik Yacoubian, avec qui j'avais des rapports assez tendus.  Un jour, à ma grande surprise, Toufik m'invite au resto japonais. Or, à cette époque, je ne connaissais pas la cuisine japonaise, qui n'était pas encore passée dans les mœurs. Forte de mon ignorance, je le laisse donc choisir le menu — un assortiment de sushis et makis. Galamment, il m'en détaille la composition, en omettant toutefois de préciser que la petite boule verte est du wasabi, une moutarde au raifort extrêmement forte. Nous commençons à discuter. En fait, il veut savoir quelle démarche adopter pour faire éditer un livre, l'un de ses amis ayant cette ambition mais n'y arrivant pas.         

     — Si je m’adresse à toi, c’est parce que tu es une pro, explique-t-il, perdant provisoirement sa morgue coutumière.

             Flattée, je pérore, j'en rajoute une tonne, et tout en parlant, je ne fais qu'une bouchée... de la boule de wasabi, que je prends naïvement pour de la purée de légume. Je vous laisse à juger du fou-rire de Toufik quand, en pleine fanfaronnade, je me mets soudain à devenir rouge, cramoisie, violette, pour m'étouffer dans une toux inextinguible, l'œil exorbité et les sinus en feu.

      Six mois plus tard, il me virait — sans qu’il y ait aucun lien entre les deux événements. 


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